de l'art de cuisiner... apprentissage.
ma grand-mère, ma mère, moi...
trois générations de femmes en cuisine, toutes les trois formées par leurs ainées... secrets de feu confiés au coin de l'âtre, ou de la cuisinière, les mains enfarinées, les joues rougies par la châleur et la joie d'apprendre et de partager...
quand j'ai eu 11 ans, je suis devenue femme. j'ai pu alors entrer de plein pied dans le monde magique de ces femmes chaleureuses, courageuses, et belles, qui peuplaient les cuisines des fermes de mon enfance.
Quand tu passes ce cap étrange de la féminité vécue au creux de ton corps, les femmes de ma famille ont coutume de faire une fête. moment spécial, où seules les femmes sont conviées, pour fêter avec toi, ton entrée dans LEUR monde... j'en ai le souvenir d'un moment... absolument magique.
je savais qu'il y aurait fête. ma mère m'avait dit, à mots couverts, que je serais la "reine" de la journée, et que mes cadeaux me serviraient ma vie entière... je ne savais rien de plus! vague esquisse d'une journée hors norme, hors temps. Journée gravée à jamais dans ma mémoire d'enfant-femme...
étaient là ma mère, ma grand-mère, mes tantes, et leurs meilleures amies. une dizaine de femmes, rubicondes et joyeuses, avec au fond des yeux un sérieux étonnant, quand elles me regardaient. Elles étaient là pour transmettre, sans fards, sans masque aucun. moment unique, que j'aurais aimé avoir la joie de transmettre à mon tour à ma fille... dans une autre vie, peut-être...
toutes m'ont transmis leur expérience de femme. comment elles ont vécu le jour où elles ont découvert leur corps changeant, ou celui où c'est l'amour, qu'elles ont vécu dans leurs tripes... sans tricherie, sans fausse pudeur, avec énormément de chaleur humaine... elles ont répondu à toutes mes questions, même à quelques unes que je n'avais osé posées...
j'en garde le souvenir d'une masse d'informations incroyables, insolites, et si intimes... comme si j'avais acces d'un coup à la somme des émotions vécues par toutes ces femmes accomplies... chaque mot était distillé avec tant de tact, tant d'affection.. rien de choquant, jamais... même quand l'une d'elles m'a raconté comment elle a cru mourir, en mettant au monde son enfant, seule dans sa grange, allongée aux pieds d'allemands goguenards, rouée de coups, mais muette, jusqu'au bout.. et son élan d'amour, quand toutes les femmes des alentours sont arrivées ensuite, à peine les soldats disparus, pour s'occuper d'elle, la choyer, l'entourer, et l'aider... comment grâce à elles, cette naissance est restée un fabuleux moment de partage au féminin!
et bien sur, on a causé cuisine! c'était tout de même, le principal motif de partage! cette région des Landes regorge de recettes toutes plus savoureuses les unes que les autres, et chaque famille a ses secrets...
mais chaque femme, à l'occasion de ces fêtes aux enfants-femmes, livraient un de leurs secrets de fourneaux. Occasion unique pour elles, de comparer leur savoir-faire, leurs habitudes, leurs "trucs", pour remplacer avantageusement les produits qui faisaient défaut... une mine d'or de renseignements, consignés par ma mère dans un cahier, durant tout le jour, cahier qui me revint, à la nuit tombée...
J'en ai les larmes aux yeux, à penser à cette journée. tant de partage, tant de chaleur, tant de rires! que les femmes sont belles, quand elles transmettent leur amour à leurs enfants !
avec ma grand-mère, j'ai appris à dénerver les foies gras, à découper les magrets, à confire les viandes, à étaler la pâte feuilletée de la tourtière aussi fine qu'un souffle de vent, et à préparer les meilleures merveilles (sorte de bugnes, ou beignets torsadés) que tu aies jamais mangé!
sa meilleure amie m'a appris comment faire un magnifique paté, à base de pommes de terre, de pelures de cepes des pins et des coupes de foie gras qui n'entraient pas dans les bocaux... tellement bon, qu'on aurait juré un véritable foie gras truffé !
ma mère m'a appris comment choisir les meilleures tomates, et comment les farcir de pieds de cepes et d'oeufs battus, pour en faire un plat magique, et pas cher. comment préparer un salmis de palombes odorant et festif, et comment faire mon pain, aussi. j'ai pétri mon premier pain ce jour-là, il a cuit dans la fournée familiale, et a été partagé entre toutes, encore fumant. j'en ai encore le gout sur la langue...
le soir, un homme a peaufiné cet apprentissage premier... mon papé. il m'a parlé du vin. de ce nectar des dieux, dû à la transpiration des hommes.
comment il fallait le faire murmurer sur sa langue, comment on se devait d'admirer sa robe, miroitante au soleil couchant... comment on y retrouvait des arrières-gouts de terre, de feuillages et de sous-bois humides et prolifiques... comment on le mariait, avec les plats du terroir. comment on se devait d'écouter le vin parler à son coeur, avant tout le reste...
quand je cuisine, il ne se passe pas un jour sans que je pense à elles, en préparant à mon tour ces gourmandises alléchantes... j'ai transmis à qui j'ai pu... à mes garçons. qui aiment cuisiner, eux aussi. même si c'est pas tout à fait pareil... j'ai essayé d'y mettre autant d'amour que j'en avais reçu...
je ne sais pas si j'y ai réussi, mais j'ai toujours éprouvé beaucoup de joie à cuisiner avec eux, à leur transmettre mon petit savoir, mes trucs de famille, agrémentés de miens propres...
et quand je vois les miens se régaler de plats longuement mitonnés, patiemment mijotés, je suis bien. juste bien. et une partie de moi chante avec ces femmes de mon passé, pour toujours bien au chaud dans mon coeur...
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