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Les Mots de Pati
28 juillet 2006

certaines en voulaient encore... un peu...

Voilà. Le chapitre "Michèle" est clos. Encore une fois, à lire mes mots, j'ai la sensation d'avoir vécu un mélodrame larmoyant monstrueux...

Pourtant, c'est tout l'inverse qui hante mes songes.
Ma mère était une personne gaie, foncièrement gaie. J'ai plus ri avec elle qu'avec n'importe qui ! Dès qu'elle en avait l'occasion elle assaisonnait les évènements d'une once de fantaisie.

Ma mère avait l'humour primaire. Je tiens d'elle d'ailleurs... Si les "Monsieur madame... ont un fils" avaient été à la mode à son époque, elles les aurait adoré ! Elle avait un humour ravageur, intelligent, caustique. Elle aimait plus que tout prendre les gens à contre-pieds et n'allait jamais là où l'on aurait pu s'attendre à la trouver !

Elle était curieuse, de tout, de tous. Encore lycéenne, quand j'amenais mes copains manger à la maison, elle restait souvent veiller avec nous, et quand ce n'était pas le cas, mes copains la réclamaient ! :)
Elle s'intéressait à eux, en profondeur ; les interrogeait, apprenait d'eux autant qu'eux apprenaient d'elle.

Elle avait aussi des périodes dépressives, très sombres... mais ça ne durait jamais bien longtemps. Elle ne s'aimait pas ainsi. Toute sa vie, elle a lutté contre la mélancolie, contre cette impression de ne pas être à la hauteur de ses rêves. Et son arme à elle, c'était l'humour, la dérision.

  • "Ris, ma fille, ris, toujours ! Ainsi, personne ne te pleurera"

Elle avait tort. Une foule incroyable l'a pleuré. Elle en aurait été ébahie...
J'ai découvert ma mère dans le regard de ceux qui ont cheminé à ses cotés durant sa maladie. J'ai un ami qui l'a vue en tout et pour tout deux petites heures. Il m'en parle encore aujourd'hui comme de quelqu'un qui l'a marqué, profondément changé. A vie.

Étrange de découvrir ses proches si différents de l'image qu'on a d'eux dans le regard des autres... Impression de ne plus très bien savoir qui était la vraie Michèle : ma mère, côtoyée 23 ans ou bien cette femme qui était leur amie ?
Je sais aujourd'hui qu'elle était la somme de ces deux personnages, bien sûr. Mais comme j'aurais aimé avoir eu plus longtemps la chance de cheminer près de cette entité-là, dans sa globalité reconnue...

Les longues et douloureuses maladies ont ceci de particulier qu'elles décapent les couches de vernis social et civilisé qui masquent notre moi profond. Qui troublent jusqu'à l'échelle de valeur de la Vie, nous donnant à croire que le matériel l'emporte sur le reste. La maladie balaie tout ce fatras comme une tempête lave le ciel de ses gris nuages. Reste l'essence même des êtres. D'où je pense, leur désarroi face à ce qui leur arrive. Pas facile de se décharger de ces chaînes qui nous protègent et nous enferment si étroitement... pas simple d'aller à l'essentiel, dans un monde qui n'a de cesse que de l'éloigner systématiquement de nous...

Elle a eu peur de mourir, bien sûr. Cette peur l'a paralysée de longs mois. Mais elle l'a dépassée. C'est ahurissant d'assister à ce cheminement, c'est fascinant.
Pour accepter, ma mère a décidé de se renseigner, de comprendre pour assimiler. Elle était croyante, catholique convaincue. Mais sa religion apportait à la mort des réponses qui ne lui convenaient pas. Alors elle a cherché ailleurs. Elle m'a chargée de lui ramener des livres, des articles traitant du sujet, dans toutes les religions, dans tous les courants spirituels. J'ai usé mes souliers dans les bibliothèques, dans les temples, églises, mosquées et autres lieux saints, pour lui trouver des textes qui pouvaient assouvir sa soif d'apprendre. A l'époque, j'étais très karma, réincarnation, cycles de vies recommencées pour améliorer l'âme et tendre à son épanouissement. Ma mère était très intéressée par ça. Elle m'a épuisée de questions ! Je n'avais pas l'ombre d'un embryon de réponse pour la plupart d'entre elles, n'ayant jamais ressenti le besoin de rationaliser mes croyances. J'ai donc dû me documenter, argumenter chaque idée, concept, l'étayer par des textes, des lectures...

On a rencontré des moines, des religieuses, des prêtres, des pasteurs, des représentants de chaque courant porteur de foi. On a été écouter le Dalaï Lama, on a même vu un pope !
A chaque rencontre, notre interlocuteur est ressorti vanné, éreinté par les questions incessantes de ma mère. Quand je les raccompagnais, ils me disaient tous à quel point ils étaient impressionnés par la demande de ma mère et son acharnement à le mener à bien... Sauf pour le Dalaï-Lama, où c'est nous qui sommes sorties songeuses et joyeuses ! C'est fou comme cet homme dégage de joie simple et généreuse !

Se réincarner a beaucoup séduit ma mère. L'idée d'avoir cette chance de recommencer sa vie lui plaisait ; celle de se "choisir" son environnement éducatif, ses parents, ses défauts, ses courants de travail pour la vie à venir la fascinait. On a passé des moments totalement délirants à se réinventer des vies à venir, à s'en rouler par terre de rire, je vous assure ! Imaginer par exemple ma mère en vache Milka qui irait guerroyer contre la Vache qui rit reste encore un de mes plus violents fous rires ! Plus sérieusement, on pensait surtout dans quelle peau on allait retrouver Untel ou Untel, l'idée de karma affirmant que nous ne cessons de cheminer près d'un noyau d'âmes, que l'on retrouve d'une vie à l'autre. Maman se demandait donc, par exemple, dans quelle vie ce serait elle qui en ferait baver à sa mère, c'est-à-dire moi, parce qu'il n'y avait aucune raison que j'y coupe !

Je ne sais pas ce qui a finalement rassuré ma mère, à quoi elle a finalement adhéré. Mon sentiment personnel est qu'elle est restée catholique, mais a quelque peu muté... Elle a englobé dans sa foi tout ce qui lui avait plu dans les autres religions.
Mais avant tout, ce qui l'a apaisé le plus, ce n'est pas la religion.
C'est Thibault.

Elle a fait sa connaissance dans la maison de repos où elle allait entre deux chimios. Thibault avait 9 ans. Il était atteint d'un cancer des os.
Ils ont beaucoup discuté tous les deux. Ma mère a définitivement changé à son contact, j'en suis convaincue. Elle a puisé en lui une tranquillité, une force d'âme que rien ni personne d'autre n'a su lui offrir.

Je me souviens de ce dimanche où nous avons mangé tous les trois, ma mère, Thibault et moi. J'étais venue la ramener à la maison, à la fin de son séjour, et Thibault avait demandé à ce que nous mangions ensemble avant de partir.
C'était un gamin adorable. Très beau, brun, la tête auréolée de boucles indisciplinées, de grands yeux verts, deux belles fenêtres sur son âme. Ce dimanche, il était en forme. Il ne souffrait pas trop, nous avons pu marcher un peu dans le parc. Et nous avons parlé. Beaucoup.

Il m'a dit sa peur de faire pleurer ses parents, son extrème soin à leur masquer ses propres doutes. Il s'inquiétait beaucoup pour eux

  • "Je les connais, tu sais ! ils vont s'ennuyer sans moi. Là, ils sont occupés à me faire plaisir, ça occupe leur tête, mais après ? Comment ils rempliront les jours ?"

On a parlé de la mort, tous les trois. Maman lui a demandé s'il avait peur, lui, de mourir :

  • "Et toi ?"
  • "Moi ? Oui, moi, j'ai peur." a répondu ma mère

Alors il a eu cette réponse, qui résonne encore dans ma tête aujourd'hui... elle nous a laissé muettes, et songeuses, tellement elle était simple, évidente.

  • "J'n'ai plus peur de la mort. Ça sert à rien, de toute façon. Tu vis, alors tu meurs. Un jour ou l'autre. C'est normal. Pourquoi t'aurais peur de ce qui est normal ? La mort tuera ma maladie. Après, je serai bien. J'avais peur d'avoir mal, juste avant, tu sais ? comme quand tu sautes dans le grand bain et que tu sais pas bien nager encore... mais ils m'ont dit qu'ils me donneraient des cachets pour pas avoir mal, alors j'ai plus peur."
    "Et puis tu sais, mourir pour nous, c'est rien. C'est la fin d'ici, et le début d'on sait pas encore où, c'est comme une surprise ! et moi, j'aime bien les surprises. Non, c'est pour ceux qui partent pas que ça va être dur, et c'est d'eux que tu dois t'inquiéter"

Là-dessus, il s'est levé, nous a embrassé, a serré fort ma mère dans ses petits bras perfusionnés, et est parti. Il est mort dans la semaine qui a suivi. Au séjour suivant de ma mère, il avait rejoint cet ailleurs qu'il voyait comme une surprise.
Ma mère a accepté son sort ce jour-là, j'en suis intimement persuadée. Elle n'a jamais paru plus sereine qu'après cette conversation.

L'image qui s'impose à ma mémoire quand je pense à ma mère, est ce souvenir d'elle, assise sur les marches de Montarras, lors d'une de ses dernières visites en ce lieu. Le soleil baigne son visage, le foulard qui masque son crâne nu étincelle sous les chauds rayons. Son regard se perd vers le vieux figuier, et elle a sur les lèvres un sourire doux. Et apaisé.

Vivre la maladie de maman, près d'elle, m'a laissé une empreinte double, en dualité constante. La peine, immense et sourde, de vivre à ses cotés, de sourire avec elle en pensant "Profite ! ce sont les derniers fous rires, les derniers mots, les derniers pas avec elle."  Mais aussi la sensation d'apprentissage constant... j'ai plus appris à ses cotés durant ces deux années, que durant tout le reste de ma vie. Ma conception du monde, mes buts, mes espérences ont été modifiés en profondeur. Je ne pourrai jamais la remercier du fantastique cadeau qu'elle m'a fait. Celui de me mieux connaître.

Certaines femmes disent qu'elles sont devenues femmes quand elles sont devenues mères. Moi, je suis devenue vivante quand j'ai perdu la mienne.

Vivante et prête à vivre.

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Commentaires
P
loin de moi cette idée, pivoine ! :)<br /> <br /> d'autant que je suis entièrement d'accord avec toi sur ce point :)<br /> <br /> merci en tout cas, pour cet avis "éclairé :))
P
Comme je le dis depuis 2002, et j'en suis convaincue, le cancer est une maladie "initiatique". C'est à développer, mais elle est en maladie ce que la franc-maçonnerie est en mouvement philosophique... Je n'ai pas le temps de développer malheureusement, mais j'essaierai de le faire un jour. <br /> <br /> (non, non, je ne suis pas folle, rassure-toi ;-)
P
En lisant ces deux derniers textes. Il n'y a pas que du désespoir larmoyant, loin de là, comme cette phrase étonnante (et pourtant si vraie) de Thibault: "la mort tuera ma maladie". C'est extraordinaire comme idée. La mort ayant le pouvoir de "tuer" tout ce qui est triste, lourd, mauvais, rongé en nous... <br /> <br /> Ce que tu dis aussi à la fin de ton texte me touche beaucoup. En effet, après la mort d'une mère, il se passe quelque chose d'étrange. Petit à petit, tout en vivant, tout en continuant, tout en pleurant parfois, on découvre plein de choses de soi (et de sa mère) qu'on ignorait. On est en colère encore parfois, mais à la lumière de sa propre expérience, on comprend mieux. <br /> <br /> C'est après la mort de ma mère, (quelques années après, mais bon), que je me suis mise à peindre... Etonnant... <br /> <br /> Mais si tout cela pouvait nous donner une réponse sur la vie après la vie, ou la non-vie après la vie. Mais ça ne devrait pas nous préoccuper. Si c'est la non-vie, alors vraiment, tout sera fini, et surtout la souffrance. <br /> <br /> Si c'est la vie, ouille, ouille, on verra bien...<br /> <br /> ;-)
P
ségo > ça alors, je me demande comment tu as deviné que ça allait m'intéresser ? ;) merci beaucoup <br /> <br /> Lorraine > aucun propos n'est inutile, s'il est sincère, lorraine :) et entre nous, je me demande, de ma mère ou de moi, qui a le plus soutenue l'autre, en vérité ! ;))<br /> <br /> nan > chhhttt, tais-toi, toi ! ;op
N
Sans le savoir ? héhéhé
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