Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Mots de Pati
11 novembre 2007

souvenir de cendre

     photo de Coumarine
biscuitsTante Babette prit une longue inspiration et regarda la photo. Biscuits dorés et jaunes soleil, fleurant son automne, elle avait sous les yeux une facette de son passé.
Des années qu'elle refusait à ses souvenirs le droit à son présent. Mais pourquoi lutter, au fond ? Il était temps de faire la paix avec elle-même, avec sa vie et son cortège de rêves déchus. Par flemme parfois. Plus souvent par peur.
Elle avait toujours eu peur, n’avait jamais osé. Osé quoi, vaste question. Elle n'en savait rien. C'était juste un sentiment d'inaction, de non décision. De honte ?
Une graine semée qui avait refusé sa vie durant de germer, voilà ce qu'elle était.

La photo était celle de la biscuiterie de ses parents, à Lublin. Elle avait 15 ans et parfois sa mère la laissait servir les clients. Elle plongeait alors ses mains gantées dans les piles de gâteaux odorants, avec délectation et sérieux. Elle remplissait de jolies boites en métal, pour des femmes élégantes et racées.
Parfois, la rue résonnait du pas des fantômes gris ; elle en avait peur. L'odeur de mort qui les suivait anéantissait celles des beaux biscuits, laissant flotter derrière eux une cendre collante que rien ne pourrait jamais laver. Elle faisait comme tout le monde alors. Elle regardait ailleurs jusqu'à ce que les pas s'éloignent et meurent au loin. C'est pour ça qu'elle les appelait fantômes. Parce que personne ne les voyait vraiment.
Jusqu'à ce que l'un d'entre eux colle ses mains sales et noires sur la vitrine. Jusqu'à ce que son regard la happe et ne la lâche plus jamais. Elle ne comprit pas pourquoi ses mains plongèrent dans les madeleines au citron, ni comment elle put franchir la distance qui la séparait de lui. Le fantôme prit son gâteau et disparut. Elle ne le revit jamais, ni lui ni les autres.

Ils partirent pour Genève et ne vendirent plus jamais de gâteaux.
Et elle rangea au fond de sa mémoire le fantôme et l‘odeur des biscuits. Mais garda au cœur la cendre noire qui lui avait ouvert les yeux un matin d’août ensoleillé.

Pour Paroles Plurielles

Publicité
Publicité
Commentaires
P
Oui, il y a la couleur jaune citron, tellement symbolique, la tendresse du biscuit, tendre comme un coeur de Pati, et les souvenirs et les fantômes de cendres qui se fondent dans notre histoire.
C
Un texte mysterieux, ou l'on passe du plaisir des yeux a la crainte. En tout cas un texte qui ne laisse pas indifférent.<br /> Contrairement à Paroles Plurielles, tu n'as pas de contrainte de longueur ici. Tu aurais pu nous mettre la version longue ;o)<br /> Bonne semaine pati
P
merci à toi :)<br /> <br /> j'ai beaucoup aimé écrire ce texte, qui a été bien plus long que ça, au premier jet. <br /> <br /> disons qu'une partie de ma mélancolie y est passée :)
M
Encore un fabuleux festin de babette...:)<br /> oui je préfère en sourire...parce que tu m'as émue...émue comme une madeleine...au coeur de beurre...;)
Publicité
Publicité