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Les Mots de Pati
26 octobre 2008

freedom

C'est l'eau qui me réveille. Une eau tiède et mouvante. Bienfaisante. Elle vient effleurer mon corps, en vagues d'attouchements discrets et insistants.
Mon corps. Qui me fait mal. Pourquoi j'ai mal comme ça ?
J'ouvre les yeux, les referme immédiatement, totalement aveuglée par un soleil à son zénith. Mais où je suis ?
Avec des précautions de vieille, je me redresse, m'assois et tente un second coup d'œil. A priori, je suis sur une plage. Ce que j'y fais, je serais bien en peine de le dire, par contre ! Aucune idée de comment j'ai pu atterrir là. C'est une vision paradisiaque : une eau turquoise, un ciel d'un bleu limpide, un sable immaculé et fin, qui crisse au moindre de mes gestes. Et ce silence ! Il me cueille, ce silence. Il est assourdissant.
Je me tourne en gémissant - toutes ces courbatures... j'ai fait un marathon ou quoi ? - et me fige illico. Une dizaine de paires d'yeux me scrutent avec méfiance. Des gamins. A peine vêtus, ils m'observent attentivement. Leurs grands yeux verts m'épient. Il semblerait que je leur fait... peur ? Je n'ai pourtant jamais fait peur à quiconque, j'ai plutôt la sensation que c'est moi qui ai peur, tout le temps, et de tout. Une impression fugace de danger m'envahit, sans que je puisse l'identifier.
Je me lève, au prix d'un incommensurable effort. Je veux être debout, c'est important de faire face debout. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est important.
Je vais parler mais n'en ai pas le temps. Un homme vient de rejoindre le groupe d'enfants. Un pêcheur, si j'en juge par le harpon qu'il tient entre ses doigts. Lui aussi me scrute mais point trace d'effroi dans ses yeux. De la détermination. Les mots restent bloqués au fond de ma gorge, quand à mes yeux, ils se fixent sur le harpon, pour ne plus le lâcher.

Puis l'homme s'avance, et me tend la main. Déterminé, oui. Mais le regard s'est fait plus amical. Et le harpon est à terre. Je me remet à respirer, me rendant alors compte que j'avais arrêté de le faire depuis son apparition.
IL m'a pris la main, et m'entraîne à sa suite sur la gauche de la plage. Nous marchons, étrange cortège qui foule ce sable fin et chaud. je ne sais pas où ils m'emmènent, mais nous y allons d'un pas décidé.
Et puis j'aperçois enfin le but de cette marche silencieuse. Il y a un canot échoué sur le rivage. Un canot qui tranche singulièrement sur cette plage déserte et intemporelle. Rouge sang, il fait tâche dans le décor, et je me rend compte que le voir amène sur ma peau un voile de sueur glacée. Je me met à trembler, je ne peux pas m'en empêcher. La main de l'homme se fait plus douce. Comme pour m'insuffler un courage que je n'ai pas. Alors que je m'approche, j'aperçois sur le flanc du canot une inscription. "Mon rêve rouge"

Et tout s'obscurcit.
D'un coup, je sombre dans un abîme d'angoisse sourde et violente. Je sens que je tombe, je ne vois plus le ciel azur, l'eau saphir et le sable turquoise. Je vois du rouge. Partout. Et du noir aussi. Partout. Puis d'un coup, tout me revient.

C'est la nuit. Nous avons navigué toute la journée. Bob voulait naviguer et quand Bob veut quelque chose, tout le monde fait ce qu'il veut. C'est mon mari. Et je ne suis pas sa femme, je suis sa chose. Ça fait 18 ans que Bob me traîne où il a envie d'aller, qu'il me bat comme plâtre et me terrorise. Mais cette nuit a été différente.
Cette nuit, il a levé sa main, ce battoir infect qui me pourrit la vie depuis 18 longues années. Mais sa main n'a pas rencontré ma peau. Cette nuit, j'ai dit "Non."
Et c'est sans peur et sans trembler que j'ai abattu sur son visage stupéfait le hachoir à poisson qui traînait sur le pont.
J'ai regardé le corps de mon bourreau s'affaler lourdement à mes pieds. Une chose rouge et sans vie. J'ai levé les yeux et j'ai plongé, sans plus rien regarder que le vide noir qui me tendait les bras. Je voulais mourir mais j'ai nagé, nagé jusqu'à m'oublier.
Jusqu'à tout oublier.


Je reprend mes esprits, les couleurs reprennent leur place, colorent l'univers d'un renouveau salutaire. Je ne sais pas à quoi ou à qui je dois ce miracle d'être libre et en vie.
Mais cette nouvelle vie, je ne la gâcherai pas. Oh que non... Et si c'est ici que tout doit recommencer, alors que le spectacle commence. Je serai sur scène et pour une fois, c'est moi qui guiderai le bateau de ma vie.

Pour kaléidoplumes

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Commentaires
P
merci à vous trois.<br /> <br /> j'ai bien aimé l'écrire aussi :)
L
Tres tres beau texte que celui là.<br /> Tout le monde a la droit a une seconde chance, de recommencer, tout recommencer !<br /> J'adore !
D
De beaux textes que je viens lire quand j'ai le temps . Je viens voir régulièrement s'il y a de nouvaux textes quand il y en a c'est bien et s'il n'yen a pas je reviens la fois d'aprés. Je n'attends rien je me régale du moment quand il y en a. Merci
C
Magnifique texte que j'ai lu d'une traite tellement il m'a emportée. Très bon dimanche à toi.
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