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Les Mots de Pati
22 novembre 2008

Frappe avec sa tête

La consigne kaléidoplumienne de la semaine était une rencontre dans une librairie, entre une personne âgée et un jeune ado. et glisser dans le texte une citation de Heine "Ceux qui brûlent les livres finissent tôt ou tard par brûler les hommes." voici ma participation :

*************

Le vieil homme avançait, ombre silencieuse glissant lentement sur le monde qu'il traversait. Il passa à même pas deux mètres du jeune garçon. Ne sembla même pas le voir, tout occupé à avancer un pied devant l'autre. Et puis l'instant d'après il était entré dans la boutique vieillotte. Le garçon tangua un peu, hésita à se lancer, prit une grande respiration et poussa à son tour la porte de la librairie.
A l'intérieur, tout était feutré. De l'air qu'on y respirait au silence recueilli qui courait entre les rayonnages. Il savait où se rendait le vieillard. Toujours la même travée. "Poésie classique et moderne, française et étrangère".
Comme toujours, le vieil homme était assis à même le sol, plongé dans la lecture d'un énorme volume relié plein cuir.
— Un peu de café, Monsieur Perez ? Il est tout juste coulé, comme vous l'aimez.
— Oh merci, Lucie. Oui, j'en veux bien un peu, dit le vieil homme avec son accent ensoleillé et sa voix rauque et basse.
— Voilà, ne vous brûlez pas. Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ? Ce livre de.. comment avez-vous dit, déjà ? Heiner ?
— Heine, Julie. Heinrich Heine. Oui, je...
— Je le connais ! tonna le jeune garçon.
Tous les trois sursautèrent comme un seul homme.
— Je... désolé, je ne voulais pas crier. Je le connais. C'est lui qui a dit : Ceux qui brûlent les livres finissent tôt ou tard par brûler les hommes.
— Eh bien, jeune homme, quelle entrée en matière ! dit Perez en souriant. Il a dit quelque chose comme ça, en effet. Et sais-tu de quoi il parlait ?
— Je... de l'autodafé nazi ?
— Hum, ma foi, il aurait eu fort à faire, étant mort bien avant ! Non, c'était lors d'une autre guerre, à Cordoue. Mais dans l'esprit, ce n'est pas si faux... Il est vrai que les hommes n'apprennent pas grand-chose...

Julie s'était esquivée en silence, les laissant seuls. Le jeune homme inspira profondément et dit d'une voix douce :
— Vous connaissiez Daniel Balavoine, Monsieur ?
Le vieux tressaillit.
— C'était un chanteur. Un rudement bon, croyez-moi. Il a écrit une chanson, terrible, qui parlait...
— Qui parlait de quoi , jeune homme ? Allons, dites-moi !
— Eh bien depuis que je vous ai vu, je me suis dit que cette chanson parlait de... enfin, parlait de... de vous.
— Voyez-vous ça... et pourquoi donc croyez-vous cela ?
— Il y parle d'un poète argentin -vous êtes argentin, n'est-ce pas ?- emprisonné, à qui ses geôliers coupent les doigts et la langue, pour l'empêcher de s'exprimer, mais il reste libre dans sa tête. Qu'il frappe contre les murs pour continuer à... à parler.
— Et tu penses que ce poète, c'est moi ? Quelle drôle d'idée, jeune homme...
— Non, je sais bien que ce n'est pas vraiment vous. Mais... pourtant, si, au fond... j'en ai le sentiment. Vous savez, c'est à cause de vos mains. Elles ont l'air tellement...
— Brisées ? Tu vois, mes doigts sont là. Et ma langue aussi, qui se brûle à boire ce bon café.
— Pourquoi j'ai cette impression que vous savez ce dont il parle ? Vous avez réagi, quand j'ai dit Balavoine.

Perez soupira. Puis il tapota le sol, à coté de lui
— Sans doute parce que je le connaissais, en effet. Assied-toi, veux-tu ? Oui, j'aurais pu être cet homme. Mais tu vois, mes mains, on me les a juste brisées. Et je portais un bâillon. Et c'est vrai que je me suis fracassé le crâne contre les murs de ma cellule, parce que je voulais rester libre, tu comprends ? Parce qu'on peut empêcher un homme d'écrire, de parler, mais jamais de penser. N'oublie jamais ça, garçon. Penser est la vraie liberté. Penser, personne ne peut te prendre ça. Après, quand le temps se calme, on peut toujours recommencer à écrire. Mais si on a oublié de penser... écrire, on ne peut plus, jeune homme. On ne peut plus. Heine avait tellement raison. Les hommes sont fous, tu sais. Le pouvoir rend fou. Et le savoir fait peur. Mais même les livres brûlés peuvent renaître de leurs cendres, ils l'ont fait d'ailleurs, pour leur contenu, du moins. Et c'est bien là ce qui compte ! Daniel l'a compris. Et toi aussi, visiblement... Et oui, c'est une belle chanson qu'il a écrit là... que j'en sois une sorte de modèle, ou pas.
— Oui, je comprend.
Le vieillard sourit lentement. s'adossa confortablement contre le mur et dit :
—On se le siffle à deux, ce bon café, dis-moi ?

**********

Si vous ne la connaissez pas, je vous conseille l'écoute de cette merveille de chanson, qui m'a inspiré ce texte. en voici les paroles :

Sous la torture
Derrière les murs
Les yeux remplis d'effroi
L'homme aux vœux purs
Souffre et endure
Les coups sourds de la loi
Noyés par les bulles rouges
Ses mots muets
S'élèvent et s'écrasent sur la paroi
L'écrivain plie mais ne rompt pas
Ressent une étrange douleur dans les doigts
Délire en balbutiant qui vivra vaincra

Dans la cellule du poète
Quand le geôlier vient près de lui
Quand plus personne ne s'inquiète
L'homme que l'on croyait endormi
Frappe avec sa tête

A court d'idées
Ils t'ont coupé
Et ta langue et les doigts
Pour t'empêcher
De t'exprimer
Mais ils ne savent pas
Qu'on ne se bat pas
Contre les hommes
Qui peuvent tout surtout pour ce qu'ils croient
Et l'homme infirme retrouve sa voix
Défie le monde en descendant de sa croix
Et sort la liberté de l'anonymat

Dans la cellule du poète
Quand le geôlier vient près de lui
Quand plus personne ne s'inquiète
L'homme que l'on croyait endormi
Frappe avec sa tête
Frappe avec ta tête...

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Commentaires
B
bravo pour cette article bien détaillé sur "FRAPPE AVEC TA TETE".<br /> <br /> TOUT SUR DANIEL BALAVOINE !<br /> <br /> Site/Blog d'investigation, d'actualité et information sans oublié les archives et articles personnel ou non au sens original qui se vaut à BALAMED.<br /> <br /> http://balamed.skyrock.com/
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