Je me souviens
Je me souviens... la peur, le mal, le désespoir
Je me souviens... de vos regards de juge qui condamnent sans savoir.
De vos pas de côté, quand vous dépassez, vautrée sur un trottoir, la chose en sursis...
De vos regards froids, qui ne voient que renoncement et manque de caractère là où seul le désespoir et le vide comblent une vie.
Que savez-vous de ses terreurs, de ses cauchemars, de ses envies ?
Rien.
Si
ce n'est qu'elles posent une ombre indécente à vos vies bien rangées.
Qu'elles dérangent votre vision idyllique d'une vie rêvée. Par vous
seuls.
Que savez-vous des efforts incommensurables qu'il faut
fournir, pour simplement se lever. Marcher. Penser. À autre chose que
sa dose d'oubli...
Dans votre confortable ennui bourgeois, que savez-vous de la valeur du mot survie ?
Je
me souviens. Je rêvais. D'une main tendue. D'un regard franc, et droit.
Sans fard aucun. Sans jugement moral. Juste un regard humain. Juste une
force qui s'offre à la faiblesse d'un corps qui a oublié comment vivre.
Je me souviens. J'avais l'espoir d'une entraide qui ne serait pas qu'un mot sur une page de dictionnaire...
Je me souviens...
De
vos regards peinés, puis choqués... quand ils croisent un fauteuil ou
des cannes. Quand ils posent la pitié comme poison insidieux sur des
corps qui n'ont pas la décence de ne pas se montrer.
Je me souviens,
de la rage qui anime le corps abimé. De sa volonté à VOUS faire baisser
les yeux. Et de votre hâte à regarder ailleurs, quand il y arrive...
Je
me souviens de ce regard violeur, qui détaille rapidement vos
handicaps, pour finalement vous oublier. Surtout ne plus vous regarder.
Que
savez-vous du courage qu'il aura fallu au fauteuil, pour franchir sa
porte d'entrée ? Pour accepter qu'on le voit, tel qu'il est ?
Chaussés de vos Nike dernier cri, que savez-vous de la valeur du mot avancer ?
Je
me souviens... Je rêvais. D'une main tendue, d'un regard sincère. Et
chaud. Je rêvais de mains parcourant mon corps meurtri, et le trouvant
beau. Et non pas beau « quand même »...
Je me souviens. J'avais l'espoir d'un amour vrai qui ne serait pas qu'un mot sur une page de dictionnaire...
Je
me souviens. De vos tabous et interdits. Qui enferment le malade dans
sa solitude sans fond, qui le cloîtrent au fond d'un hôpital ou d'une
chambre sombre, car on ne parle pas de ce qui vous effraie. Même si
parler est la seule chose qui reste...
Je me souviens, la mort,
c'est comme le sexe, on n'en parle pas. Ce n'est pas raisonnable. Comme
si en parler déclenchait une alarme et la rendait plus proche...
je me souviens, de ces gens qui d'un regard détourné voient celui qui se meurt. Et qui s'enfuient en regardant leur montre...
Je rêve. Oui.
D'un monde où mourir n'est plus une tare, mais l'ultime acte d'une vie aboutie.
Je rêve car je veux espérer que ce n'est pas en vain...
Et j'espère... que l'humanité n'est pas qu'un mot sur une page de dictionnaire.
Pour Kaléidoplumes