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Les Mots de Pati
8 mars 2009

Regards en écho

Beaucoup de réactions par mail, sur mon texte "Je me souviens"... qui m'ont entrainée vers une réflexion poussée sur mon passé...

Les regards, dont je parle dans "Je me souviens" n'étaient pas tous destinés à ceux sous addiction.
J'y parlais plus généralement de celui que l'on porte sur tous ceux qui sont hors la norme.
De celui qu'on pose sur une obèse qui est attablée seule au restaurant...
De celui qu'on pose sur une personne en fauteuil roulant...
De celui qu'on voit parler avec ses mains, et non sa bouche
Ou de celui jeté sur quelqu'un qu'on voit différent, comme les trisomiques, les malades de TOC ou les autistes...
Et bien sûr, sur ceux qui se posent sur les grands malades, ceux dont on sait la fin proche.
Tous ces regards qui jaugent en fonction d'une idée préconçue de la norme, et qui isolent définitivement ceux qui les reçoivent.

Mais c'est celui-là qui interpelle, il faut croire. Celui qu'on porte sur ceux qu'on croit incapables de force de caractère, ceux qui à priori n'ont aucune raison valable de se laisser aller à ce point. Ceux qui titubent sous l'effet de l'alcool, ceux qui jouent leurs allocs au poker, ceux qui passent des heures avachis devant leur jeu vidéo, ceux qui comatent sous l'effet de la dose enfin prise... sans parler de ceux que vous soulignez dans vos textes, les proches, qui subissent une situation qui les dépasse et les laisse abrutis de ce mélange de culpabilité, d'amour et de souffrance. Car eux aussi, on les regarde souvent comme des bêtes curieuses, en se demandant pourquoi ils « acceptent encore de subir tout ça »...
Toutes ces victimes d'une addiction.

Bien sur, la différence est très nette, entre ces deux catégories. Dans la première, ce n'est pas un regard qui juge, c'est un regard qui rejette.
Qui refuse une différence trop visible. Un regard de peur, ou de pitié.
J'ai été un temps en fauteuil roulant, ne pouvant plus du tout marcher. J'ai reçu ce type de regard. Il fait très mal, parce qu'il isole mieux que n'importe quelle prison. Parce que du fond d'un fauteuil, on veut bien tout voir, mais surtout pas de la pitié. C'est un regard qui met en rogne, qui pousse à la révolte. Ou à l'enfermement.
J'ai aussi reçu celui qu'on vous porte, quand vous êtes très malade, quand vous devez vous trimballer avec votre bouteille d'oxygène et votre pied de perfusions multiples. Là, ce n'est plus de la pitié. Enfin, pas que... il y a beaucoup de peur, dans ce regard, la peur de ce qu'on ne veut pas voir en face... la mort. On sait qu'elle viendra, mais la voir proche chez quelqu'un... pour certains, c'est juste impossible. Ce sont des regards qui vous effleurent, fuient, reviennent détailler un peu plus, comme pour jauger de votre état (encore combien, pour elle ?) et qui d'un coup refusent de voir. C'est, je vous l'assure, perçu comme une négation de toute votre personne, et c'est d'une grande violence.

Mais celui qu'on porte sur les victimes d'addiction est tout autre. Je parle bien sûr du regard du passant, de celui qui ne se sent pas impliqué, du quidam... Celui-là rejette, mais surtout il juge, il condamne.
Est-ce parce que l'on ne voit pas ce qui empêche la personne de réagir ? Qu'il n'y a aucune raison sensée pour ne pas changer ? Ou est-ce dû au manque de savoir ? À l'ignorance ?
Je les ai reçu aussi, ces regards. Accro à ce qu'on nomme les drogues dures, j'ai fait partie de ces loques inertes, insensibles à tout ce qui n'est pas leur quotidien de camés.
Et ils font mal, ces regards. Très mal. Ils détruisent le peu d'estime de soi qui peut nous rester. Parce que le camé sait très bien qu'il s'inflige tout sele quelque chose d'avilissant. Sans avoir la force de faire autrement. Ils condamnent sans même savoir l'incapacité totale de réaction d'une personne addictive.
Alors peut-être qu'il faudrait que j'explique... même si je sais bien que ceux qui me liront ici ne sont pas forcément ceux qui auraient besoin de changer leur regard...

Je lisais dans un des textes en écho au mien, sur Kaléïdoplumes cette phrase :

Est-ce toi qui lui a refilé sa première dose, celle de l'euphorie, la seule bonne, l'éphémère que tous cherchent à recréer éternellement sans jamais y parvenir mais en sombrant toujours plus profondément ?

C'est vrai que seule la première dose est bonne. Elle l'est même à un point dont on ne peut pas avoir idée, sans s'y frotter.
Mais je ne pense pas que ce soit ce que recherchent les drogués, avec les doses qui suivent. Au début, peut-être. Mais ça ne dure pas, c'est certain. La légende du trip éblouissant, où d'un coup vous savez tout, vous percevez tout ce qui vous entoure sous la forme d'un kaléidoscope psychédélique... personnellement je ne l'ai connu qu'une seule et unique fois : la première. Et avec du LSD, un puissant psychotrope hallucinogène.
Je n'ai jamais connu ça avec l'héroïne. La première fois que j'en ai pris, j'ai eu ce qu'on appelle un « rush », sorte de bouffée forte de plaisir, presque de bonheur. Ça dure quelques minutes, et ensuite, pour ma part, je suis devenue amorphe, ne ressentant plus rien, ni émotions, ni sensations physiques. Pendant une douzaine d'heures.
Ensuite, pour parler vrai, les trips ne sont que pures visions d'enfer.

Ce que recherche un camé, quand il s'injecte une dose, c'est une seule et unique chose : le néant. Je n'ai pas d'autre mot qui me vienne à l'esprit, c'est le néant. Un néant absolument privé de toute idée de sensation. Car si on ne ressent plus rien, on ne souffre plus.
Il y a cette blague qui se veut drôle :
« Pourquoi tu bois ? Pour oublier... Oublier quoi ? J'ai oublié... »
Ça ne m'a jamais fait rire... parce que ça a été mon quotidien pendant près de trois ans.

La drogue est peut-être parfois jubilatoire ou euphorisante, ou tout ce que vous pouvez imaginer comme sensation positive, mais elle a son pendant obligé... le manque. Et c'est lui qui vous enchaîne irrémédiablement à vos doses journalières. Rien d'autre. Parce qu'il est tout bonnement presque impossible de physiquement supporter ce manque.
J'ai eu l'occasion, dans ma vie, d'expérimenter la douleur sous bien des formes. La seule qui se soit rapprochée de ça, c'est ce que j'ai ressenti pendant la pleurésie qui m'a terrassée l'an dernier. Rien d'autre ne s'en est approché. Bien sûr, il y a certainement bien pire... je n'en doute malheureusement pas. Je ne juge que sur ce que j'ai ressenti, moi. Et c'était suffisamment violent pour annihiler tout le reste.

Le manque, ce sont d'abord des frissons. Comme ceux d'une grippe particulièrement virulente. Puis une très désagréable sensation de « chaud-froid », l'impression que l'intérieur des os se glace et que la peau va bouillir. On gèle, et on transpire à grosses gouttes. Ensuite viennent les nausées. Violentes, puissantes, dévastatrices. Puis les diarrhées, tout aussi fortes. Moi, j'avais aussi de violentes démangeaisons, à me gratter jusqu'au sang.
Et puis presque simultanément, arrive le pire. Les crampes. Je parle ici de crampes qui partent du ventre, et vous tétanisent lentement tout le corps. Qui vous vrillent chaque muscle, l'un après l'autre, et puis tous en même temps. Qui vous font vous tordre comme un ver, qui vous déforment le corps. C'est parfois (souvent) accompagné de soubresauts involontaires, des jambes surtout. La douleur est intolérable.
Le camé sait très bien à quel rythme les symptômes vont arriver. Et il n'a très vite qu'une seule idée en tête : empêcher les crampes de s'installer, parce qu'une fois arrivé là, il sera incapable de sortir chercher ce qui les calmera. Alors il se dépêche. Il cavale partout, jusqu'à la trouver, sa putain de dope. Il n'a plus que ça en tête. Il est prêt à tout, absolument tout pour se la procurer. Et même s'il sait pertinemment que c'est en train de le tuer, il ne peut pas faire autrement, car toute l'énergie qu'il peut avoir ne sert que, et uniquement que à éviter de crever de douleur.
Quand il s'injecte sa dose, il retombe dans ce néant faussement salvateur, et ne souffre plus. Pour une douzaine d'heures...
C'est ça, le quotidien d'un camé. Tout ce qu'il peut penser, ressentir, faire... tout est axé sur la drogue. Il ne pense qu'à ça, ne connait plus que ça. Et même quand il essaie de reprendre pied, au bout de quelques heures, c'est le manque qui le terrasse à nouveau, et l'enferme un peu plus profondément dans sa dépendance.

Je ne connais pas un seul camé qui n'ait au moins une fois essayé d'arrêter. Pas un. Mais c'est insurmontable, surtout quand la drogue vous a déjà affaibli beaucoup. C'est là qu'il faut de la chance. Que quelque chose de suffisamment fort vous sorte de cet engrenage mortel.
Et peut-être aussi l'impression que de toute façon, arrêter ou non, vous êtes en train de sombrer pour de bon. Pour moi, ce fut la mort de mon amour de jeunesse. Il est mort d'une overdose, dans mes bras. Il avait presque 20 ans et pesait 27 kilos.
Ce n'est pas moi qui ai décidé d'enfin me sevrer. Moi, je ne voulais plus vivre. C'est un ami commun, qui m'a secoué, et a tout pris en main.
Le sevrage à la drogue m'a pris une grosse dizaine de jours, durant lesquels j'aurais donné n'importe quoi pour ne plus avoir à subir ce manque, et cette douleur insupportable. Mais j'ai survécu, j'ai appris que le manque ne tue pas, il est juste un Everest à gravir...
Ensuite, il m'a fallu beaucoup plus de temps pour me sevrer psychologiquement. Mais c'est une autre histoire...

Vous qui me lisez, entendons-nous bien.
Je n'ai pas raconté tout ça pour qu'on me plaigne, ou qu'on me trouve un courage quelconque... je n'ai fait preuve d'aucun courage. J'ai tenté de réparer mes erreurs... d'aiguillage, voilà tout.
Et je n'ai pas raconté tout ça pour trouver des excuses au fait de continuer la dope. Ou pour excuser toutes les mauvaise actions des drogués. Le mal qu'ils font subir à leur entourage, ou à d'autres si, pour payer leurs doses, ils se mettent à dealer (ce qui m'a fort heureusement été épargné) voire pire... même s'il est fait sans en avoir une véritable conscience, car leur jugement est totalement faussé par la drogue, il n'en reste pas moins vrai qu'ils font très mal, surtout à ceux qui aimeraient bien les aider, et les voir reprendre pied avec la réalité de ce qu'ils font subir à ceux qui les aiment. Ils enchaînent leurs proches dans une spirale destructrice, cette « Honte du mépris »... où l'on aime encore mais que cet amour peu à peu se mue en mépris, et qu'on culpabilise de ressentir tout ça...
Non, je n'excuse rien, je sais combien ces souffrances sont réelles, et nettement justifiées.

Mais si j'avais un souhait à exaucer, un espoir, une envie...
ce serait de ne plus jamais croiser ce regard de juge du quidam qui ne sait pas de quoi il parle, cette condamnation gratuite, cette ignorance qui fait penser que tout ça n'est qu'une question de (bonne) volonté.
Si seulement il suffisait de vouloir pour pouvoir... mais seul, c'est mission impossible. Parce qu'avant de parler de volonté (parce qu'il en faut, tout de même, et beaucoup), il faut une main tendue, une main suffisamment forte, dure, sévère et solide pour contenir les écarts de conduite, mais aussi douce, aimante et compréhensive, une main professionnelle, surtout.
Afin que l'estime de soi renaisse. Et que le sevrage aille à son terme et réussisse.

Alors si un jour vous croisez dans la rue ou ailleurs une de ces loques avachies dans leur néant... qu'au moins mes mots fassent que votre regard reste... sans pitié, certes. Et sans concession.
Mais lucide, et humain.
Juste humain.

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Commentaires
L
gêne...<br /> Dans ma petite ville, je suis la fille à vélo avec une casquette... et je dénote...
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