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Les Mots de Pati
4 avril 2009

Promesse.

On s'était fait une promesse.
De ces promesses de gosses — parce que nous n'étions finalement que des gosses — qui prennent une importance considérable. Une promesse, que dis-je... un serment. À vie. Qu'une fois sortis de ce bourbier infect, on serait là, l'un pour l'autre. Toujours. Quoi qu'il arrive. N'importe quand, n'importe où. Si tu tombes, je tombe, mais je te lâche pas. Deux gosses qui jurent sur la vie, par besoin. Par peur surtout. Peur de replonger, de devoir tout recommencer. Alors non, on serait là, toi pour moi, et moi pour toi.
Quand j'ai prêté serment, je pensais sincèrement que ce serait toi qui me tiendrais la tête hors du bouillon. Depuis que je t'avais rencontré, c'est bien ce que tu avais fait. À me tenir serrée quand je tremblais de froid, et de mal. À m'éponger le front quand une nausée plus violente que les autres me coupait en deux au-dessus des toilettes... tu étais mon phare, mon guide. Mon roc.

Mais la vie est une foutue garce, quand elle veut. Le partage n'a pas été équitable. J'ai eu de la chance, beaucoup de chance.
J'ai eu ma famille, autour de moi, présente, chaleureuse, larguée mais présente. Toi, tu étais seul avec un père que tu détestais, même quand il était sobre.
Le souvenir du Doc était vrillé en moi, j'avais en boucle son regard fixé sur moi, comme pour me dire « je t'interdis de faire marche arrière » Toi, tu avais ton reflet dans un miroir bon marché... et ton regard solitaire pour toute compagnie.
Même quand la vie m'a paru cruelle, injuste... en me privant d'un coup de tous mes amis de l'époque, ce fut en fait ma planche de salut. Privée de mes contacts, il m'aurait fallu une volonté que je n'avais plus, pour replonger dans mes enfers passés. Toi, tu as retrouvé toutes tes vieilles habitudes, ton même studio juste au-dessus de celui d'un de tes anciens fournisseurs.

C'est donc toi qui le premier m'a appelée à l'aide. Je suis venue aussitôt. Bien sûr. Et je t'ai soutenu, je t'ai empêché de lâcher prise. Je t'ai fait marcher toute la nuit, je t'ai fait boire des litres de café, pour ne pas que tu sombres dans un sommeil définitif.
Et quand quelques jours plus tard, tu as été mieux, je suis partie. Reprendre le cours de ma vie.

Pendant des années, nous avons gardé le lien ouvert. Opérationnel. L'un de nous déménageait ? Il envoyait en tout premier lieu ses nouvelles coordonnées à l'autre. Naturellement. Parfois sans même un mot d'accompagnement.
Juste un lien. Une main tendue.
Tu l'as souvent chopée au vol, ma main. Parfois de justesse. À tel point que j'avais fini par croire que je serais toujours capable de te rattraper. Je ne compte plus les nuits passées à tes côtés, à te veiller, à te consoler, à t'assurer que c'était la dernière fois, que tu ne replongerais plus. À tenter de partager la chance que j'avais eue, avec toi.
Il aura suffi d'une seule et unique fois...

Près de quinze ans s'étaient écoulés. Tu avais tenu bon, ce coup-ci. Tu avais même un job régulier. Une femme partageait ta vie. Je l'avais rencontrée une fois, lors d'une de nos rares entrevues « juste comme ça... pour le plaisir » Une chouette fille, jolie, et dingue de toi. J'étais confiante. Tu avais tout pour tenir le coup.
Je n'ai pas trop voulu penser à ces mois sans nouvelles de toi... je me disais que le bonheur est plus difficile à partager que la peine.

Et puis un soir, tu as appelé.
J'avais du monde, ce soir-là. Une dizaine de copains venus faire la fête chez moi. J'ai compris, au son de ta voix, que tu avais tardé à m'appeler. Que je devais me dépêcher. J'ai juste pris le temps de prévenir mon mari, et j'ai tout plaqué net. J'ai roulé aussi vite que j'ai pu, sans me faire arrêter.
Quand je suis arrivée devant ton immeuble, j'ai compris que c'était trop tard. Les pompiers, les flics aussi, étaient là depuis bien plus longtemps que moi... Je les ai regardés t'emmener, sans pleurer. J'étais glacée dedans.
J'étais arrivée trop tard. La seule fois. Celle de trop.

Je m'en suis voulue longtemps. Très longtemps.

J'avais tenu ma promesse. Tellement souvent. Je ne pouvais pas vivre à ta place. Je n'avais pas pu te transmettre suffisamment d'espoir pour qu'à tes yeux, le jeu en vaille la peine.
Ce n'est pas ma faute. Je sais tout ça. Pourtant, je m'en suis voulue. Peut-être plus pour t'avoir si souvent tiré hors de l'eau que pour aucune autre raison, d'ailleurs... comme si je m'étais acharnée à vivre à ta place, et que tu avais juste accepté d'essayer pour me faire plaisir.
Et puis, j'ai finalement admis que je n'y étais pour rien. Que tu avais seul scellé ton destin, en quittant cette fille adorable, en larguant ton job si durement acquis... en replongeant. Encore.
Alors, je t'ai pleuré.

Il n'empêche, oui... à chaque fois que ma vie a changé, que j'ai déménagé, que j'ai changé de nom, de ville, de vie... mon premier réflexe a été de te prévenir. Encore aujourd'hui, quand je pars en vacances quelques part... même pour un week-end sympa entre amis... mon premier geste est de t'appeler.
Je le suspends, ce geste, mais ma main l'amorce, puis reste figée... juste un instant, avant que le cours de ma vie ne reprenne son rythme.

Bien sûr, tu me manques. Bien sûr, je te porte en moi, comme tous mes tendres... alors pourquoi ce réflexe ne me lâche-t-il pas ?
Une habitude ? Un rituel ?
Un besoin ?
Peut-être bien... Comme si ce réflexe était une béquille, en cas de faiblesse de ma part... quelle que soit cette faiblesse.
Un étai, virtuel mais existant quand même. Même si ce n'est que dans ma tête, j'ai l'impression d'en avoir... besoin.
Et puis peut-être reste-t-il une once de cette fidélité, de ce lien, entre nous. Tu vois, même séparés par la mort (par la vie ?) tu restes mon ancre. Celui vers qui me tourner, instinctivement. Une part de la lumière qui éclaire ma route.

Les promesses d'enfants sont puissantes. Indélébiles. La nôtre m'a portée, me porte et me portera. Encore.

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Commentaires
L
moi aussi il m'est arivé un truc dans le genre.<br /> ca c'est passer il y a 10 ans en primaire au cp.<br /> Alison et moi on c'etait fait la promesse qu'on se retrouverait et qu'on se soutiendra toujours mais apres elle a déménager et apres on c'est quitter sur cette parole"aurevoir a bientot"!!!
B
Non, c'est vrai que la volonté n'est pas suffisante : il faut aussi la chance. J'en parlais, il y a deux ou trois soirs, avec un ami qui m'est cher. Je lui disais comme la chance de nos rencontres, de nos conditions de vie, des événements que nous avons à vivre et à affronter, comme tout ça influe sur notre cheminement, notre construction, nos cycles... C'est tout à fait ça : la chance qu'on a ou qu'on n'a pas, qui fait toute la différence, et permet aux uns d'échapper au gouffre, tandis que d'autres ne peuvent s'en éloigner, jusqu'à s'y perdre.
P
en regret ? je sais pas... non je crois pas, en fait.<br /> du regret, j'en ai eu sur le coup, oui. être arrivée trop tard, c'est pas simple à gérer... mais ce n'est plus ce que je ressens aujourd'hui<br /> <br /> en hommage.. oui, peut-être.<br /> <br /> moi, j'aurais dit... en mémoire. de lui, mais aussi de cette période de ma vie. ne pas oublier ce par quoi je suis passée, et lui aussi.<br /> ne pas oublier non plus la chance que moi j'ai eue, et pas lui. que la volonté ne suffit pas toujours, quoiqu'en pensent les bien pensants...<br /> <br /> en mémoire de la promesse, aussi. vue comme une ancre dans le réel.<br /> <br /> merci pour vos lectures attentives :)
B
Touchante et belle d'humanité, cette histoire, même avec tout le tragique qui s'y attache. Ce lien sacré qui demeure, comme en hommage, comme en regret...
P
Texte magnifique et poignant. Je comprends tout à fait la persistance de ce lien et le fait qu'il puisse te porter et participer à éclairer ta route.
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