Regard de sable bleu
Le week-end dernier, j'ai marathonné. Grâce à l'initiative d'AlainX, qui nous offre de temps en temps un espace pour le faire, cette année encore, je me suis prêtée au jeu d'un texte par heure, jusqu'à plus soif... Ce coup-ci, j'ai écrit 15 heures d'affilée. Vous en trouverez quelques morceaux choisis, dans les prochains jours.
Voici mon premier texte :
Le corps est masqué sous de lourdes étoffes
bleues. De ce bleu si particulier qui habillent les habitants de ce
désert infini. On ne voit d'elle que ses mains, et ses yeux. Elle est
en train de préparer le thé, à l'ombre d'une tente ornée de tapis épais
et colorés. Ses mains virevoltent selon une danse éternelle et codée.
Gestes précis et intemporels, qu'elle exécute sans même y penser. Les
mains froissent la menthe odorante et la plongent dans l'eau
bouillante. Est-ce l'odeur un peu poivrée, un peu sucrée ? Ou ce
silence précieux, seulement émietté par le souffle du vent qui joue à
faire cascader le sable en fine pluie dorée ? J'assiste à quelque chose
de rare, je le sais, je le sens.
Ses yeux sont perdus dans l'infini
poudreux des dunes, je ne sais ce qu'ils perçoivent, ce qu'ils
regardent. Je reste scotché par son regard azur, qui me transperce sans
même me voir.
Il n'a pas d'âge, ce regard. Elle contemple le désert
depuis l'éternité. Elle est là pour ça. Elle semble vibrer au rythme
minéral de ce monde hors du commun. Il pourrait sembler hostile et
dangereux ; elle, elle l'aime comme il est. Elle fait corps avec la
nature qui l'entoure, qui l'abrite, elle l'épouse sans heurts,
simplement. Elle se fond dans l'infini de sable, et ses mains ne
cessent de vaquer à la cérémonie du partage. Les tatouages de henné
dansent sous mes yeux fascinés. Elle est belle.
Soudain, le ballet
s'interrompt. Son corps se tend, ses yeux scrutent l'horizon, elle
écoute. Et puis je les vois arriver, leurs corps émergeant de derrière
la dune. Le chameau et son passager semblent être sortis tout droit du
sable en fusion sous le soleil de cette fin de journée. Ils sont si
majestueux que j'en reste coi. Je cherche son regard à Elle. Deux
saphirs de vie qui suivent avec intensité l'avancée de l'homme en bleu.
En
quittant mon hôtel, ce matin, je ne savais pas que j'allais me perdre
dans le désert. Je ne savais pas que j'allais me croire perdu, pour
finalement être recueilli par ces deux yeux magnifiques. Je ne savais
pas que j'allais partager le temps d'un soupir la vie de ce couple
libre et serein. Enfin, je ne savais pas que j'allais tomber amoureux
d'un paysage cuit par le soleil, mais d'une beauté saisissante.
L'homme a rejoint les yeux saphir. Un geste tendre à peine esquissé... le thé est prêt.