Amitié, hisoire d'une mutation
Il y a quelques temps, j'ai vu une émission très intéressante,. Elle laissait la parole aux "cinquantenaires". Une sorte de bilan de leurs expériences de vie, de là où ils en étaient...
C'était très sympa, comme reportage. Et puis c'est devenu passionnant.
Une femme disait son étonnement devant un fait qu'elle avait remarqué, autour d'elle. Elle nous racontait comme l'amitié avait changé de statut, entre la vie de ses parents et la sienne. Et quand elle a dit cela, j'ai eu comme un impact au fond de mon crâne de fausse blonde...
Parce que si j'essaie de me remémorer les amis de mes parents, venant manger chez eux, par exemple, ben y en a pas eu tant que ça. J'en connais, certes. Je me souviens par exemple d'au moins deux couples, des amis très proches de mes parents. Eh bien, ils sont venus à la maison, oui, mais quand on y songe, pas si souvent que ça. Les gens qui mangeaient à la maison, ceux pour qui le cercle intime était ouvert, c'était la famille. Essentiellement les membres de la famille de ma mère, plus précisément.
Alors que si j'en juge par les gens qui gravitent autour de ma table... c'est tout l'inverse ! Pour ma famille, je peux compter sur les doigts de mes deux mains leur venue à la maison sur une année, alors que je suis bien incapable de dire combien de mes amis sont venus manger... ils sont trop nombreux.
Intriguée par ce constat, j'ai posé la question autour de moi... à des collègues, à des amis, et à certains membres de ma famille, tous de mon âge, ou presque. Et à leur grand étonnement, c'est la même chose pour eux. Ils ont en général assez de mal à se souvenir de repas entre amis chez leurs parents, alors que les repas de famille étaient légion. et eux, c'est l'inverse. La grande majorité des gens qui viennent chez eux sont des amis.
L'amitié a donc, du moins pour ma génération, subi une sorte de mutation, elle a pris du galon, et ce au détriment de la famille.
Bien sûr, j'y vois quelques explications. Les divorces qui se sont multipliés, les familles recomposées et leur lot de difficultés... le manque de dialogue, l'éloignement géographique, qui induit un éloignement plus relationnel... les fameuses "histoires de famille"...tout ça complique évidemment les relations.
Mais je me demande si ce n'est pas plus subtil...
Peut-être qu'à l'époque de nos parents, se faire des amis n'était pas si simple. Si je me base sur mes parents, leurs amis étaient quasiment tous issus du monde du travail. C'était des collègues ou de mon père, ou de ma mère. Et je me demande s'il était simple de rencontrer des gens ailleurs que sur le lieu du travail. Les vacances, pour nous, du moins, se passaient en location, en famille, pas top pour rencontrer des gens. Et si l'on remonte aux parents de mes parents, bouger de sa région était fort difficile, et donc très rare (évidemment, j'exclue le long "voyage" de mon papé, lors de la guerre...).
Et puis, la famille était omniprésente. Un roc sur lequel s'appuyer et parfois une croix à trainer, mais elle était toujours là. Peut-être plus par tradition que par choix, d'ailleurs...
À croire que les amis, même proches, n'obtenaient pas aussi facilement que ça le "droit" de rompre le cercle intime de la cellule familiale parents-enfants ? Je ne sais pas...
Aujourd'hui, il semblerait que ce soit presque l'inverse. Sous couvert de l'adage bien connu "On choisit pas sa famille", il semblerait que nous avons, à un moment donné, opté pour un autre choix, le choix du coeur, et l'on se fabrique une nouvelle famille, faite d'un nombre plus ou moins grand d'amis. Et ces derniers n'ont pas à obtenir de sésame pour entrer dans notre cercle familial intime, ils en font presque partie d'office, du moins dès qu'ils passent du stade de copains à celui d'amis...
Car nous avons codifié l'amitié. Elle possède désormais différents "niveaux". On a les collègues, les copains, et les amis-les-vrais. Moins nombreux que les copains, on sait pouvoir compter sur eux, au moindre signe de tempête. Et cette amitié se scelle par de nombreuses rencontres. Dans le foyer familial. Dans le cercle intime.
Il est vrai que si pour nos parents, rencontrer des gens était compliqué... on peut dire que pour nous, c'est tout de même plus simple. Pourquoi ? Je ne sais pas trop... Un reste de Mai 68 ? L'évolution des mœurs aurait aussi changé la donne dans nos rencontres ? Le rejet des traditions, en masse, aurait donc scellé le devenir de nos liens familiaux, devenus bien plus fragiles finalement, que nos liens amicaux ?
À voir...
Et que dire de ce que le Net a apporté, à ce sujet ! Aujourd'hui, il suffit de converser via un mail, un blog lu, un forum... pour croiser des plumes qui nous parlent, qui remuent en nous des choses qui nous donnent envie de rencontrer, de vérifier de visu si ce qu'on a perçu à la lecture est également présent face à face. Et je peux témoigner que par le biais du Net, on peut faire de très belles rencontres, qui donnent naissance à une amitié vraie et sincère. Et durable.
Si je me fie à mon vécu en ce domaine, je peux dire qu'aujourd'hui, mes amis partagent bien plus ma vie que ma famille. C'est un constat qui me chagrine, quelque part... Parce que j'ai eu la chance d'avoir une famille aimante et fidèle, une famille au grand coeur. Et la disparition de quelques pierres de taille a eu raison du ciment qui nous liait. Je sais que nous nous aimons, tous. Mais on ne se voit quasiment pas. Même, on s'écrit bien peu... on se voit au détour d'un mariage, ou plus tristement, d'un enterrement de quelque vieux... On se promet de s'appeler, et la vie nous tire loin de nos promesses.
Mais mess amis, eux, sont toujours présents dans ma vie. Je peux passer un moment sans les joindre, il n'existe pas ce vide difficile à combler, pour les recontacter. Le fil reprend là où il s"était stoppé, sans heurt... Ils sont finalement ce que je nomme ma famille de coeur, et si je l'ai choisie, c'est qu'elle m'apporte ce dont j'ai besoin.
Je me souviens comme ma mère appréciait quand mes amis venaient manger
dans sa maison. Que je partage ces instants avec elle la comblait de
joie. Et je me demande si elle ne m'enviait pas ce vivier d'êtres
chers, sur qui je savais pouvoir compter...
L'amitié a muté. Elle a remplacé les liens familiaux si difficiles à entretenir. Elle remplit nos coeurs de chaleur, de rires, de joie, de partage. Elle a pris la place que la famille a longtemps tenu.
Je me demande s'il en sera de même pour nos enfants.
Ou si un jour, à travers leurs propres choix de vie, la famille reprendra une place de choix dans leurs vies...