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Les Mots de Pati
18 février 2010

Premier jour

Ce texte a été écrit pour kaléidoplumes. Pour une consigne difficile, où le but était d'écrire , en partant d'un souvenir, la plus longue phrase possible. Exercice difficile, mais intéressant.
Je l'ai découpé, pour mon blog, afin de le rendre plus lisible.

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Je me souviens de ce jour. De sa lumière, de son odeur d’été, de la ruelle à emprunter : l’impasse de l’astragale. Rien que le nom m’évadait car c’est dans un livre que je l’avais découvert pour la première fois, un livre impasse lui aussi, comme moi j’y étais engoncée, en ce matin d’été. Comment les bruits de la capitale s’étouffaient à mesure qu’on s’enfonçait dans la moiteur des jardins, et comment le soleil se reflétait sur les verrières des maisons d’artistes de ce vieux quartier de Paris.

Je me souviens de cette maison où m’attendait l’épreuve ; ma renaissance. Oui, on peut parler de renaissance car après tout, j’allais réunir tous les ingrédients de la vie, là, sous mes doigts malhabiles : de la terre, de l’eau, du temps, de la création… tout, quoi.

 

Je me souviens comme j’avais peur, peur de ne pas y arriver, peur de tout foirer comme j’en avais pris l’habitude, peur peut-être aussi d’y parvenir, finalement. Ben oui, c’est effrayant, de vivre, d’avoir un temps tout neuf à disposition et de ne savoir qu’en faire, et je ne parle pas de la peur de créer (et si je n’y arrivais pas, si de tout ce que je tentais ne naissait qu’horreur, laideur ou pire…) qui faisait gronder mes entrailles.

Et pourtant j’avançais, tremblante, en sueur, mais j’avançais, vers l’inconnu.

 

Je me souviens de mes mains palpant pour la première fois la noble texture, douce, sensuelle, humide et fraîche, la sentant se réchauffer sous mon malaxage maladroit. Comment j’ai peu à peu pris confiance, trouvant instinctivement le bon rythme, le mouvement juste, la bonne consistance.

Comment j’ai tapé et tapé et frappé de toutes mes forces cette boule d’argile qui ne m’avait rien fait, sinon m’offrir ce que j’avais perdu si longtemps : un possible, un espace où tout est neuf, à construire, à rêver, à imaginer, à oser.

 

Et comment ce matin-là j’ai pleuré, et crié et hurlé jusqu’à m’en casser la voix : hurler ma rage, ma trouille et mon envie de vivre, même sans savoir comment, même sans comprendre pourquoi. Hurler mon impuissance et mon incapacité à retrouver une innocence que je n’avais jamais appréciée à sa juste valeur.

Comment j’ai lancé la lourde roue de bois, sous le plateau du tour.

Comment j’ai lutté encore et encore, pour centrer cette indomptable boule de vie.

Comment mes mains l’ont enserrée, l’ont cintrée, l’ont pressée.

Comment avec douceur, je l’ai ensuite percée d’un pouce timide, encouragée par la voix de cette femme qui me faisait confiance (une confiance que je n’avais pas en moi-même) et me guidait avec force et tact.

Comment j’ai mouillé l’argile, jusqu’à la muer en un ruban soyeux, docile et comment, lentement, la paroi épaisse est montée sous mes mains, sous mes yeux ébahis : c’est moi qui fait ça, c’est moi qui fait ça !

Et comment la forme est d’un coup apparue comme par miracle.

Et comment j’ai pleuré, de joie, de bonheur, d’épuisement…

 

Ô combien je m’en souviens, de ce premier jour de ma vie !

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