Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Mots de Pati
21 février 2010

Quand le corps gouverne

Il y a des moments où la vie n’est pas simple. Des moments où il devient très difficile de tenir les rênes, de garder le cap.
Cela peut venir soudainement, à l’occasion d’un brusque changement, d’un épisode brutal et inattendu, comme par exemple voir en quelques mois, presque quelques semaines, son père perdre la raison.

Cela peut aussi s’installer sournoisement. Le processus s’étale alors sur plusieurs années. Des dizaines d’années, en ce qui me concerne. Quand c’est le corps qui gouverne, et plus la tête, ou le cœur.
Sournoisement, parce que c’est un travail de sape.
Les choses évoluent lentement. Parfois, on ne ressent pas l’avancée du processus. On le pense stoppé, peut-être même, avec un peu de chance, on imagine qu’il est en train de reculer, de disparaitre. La donne a changé, certes. Mais une sorte d’équilibre s’installe. On apprend à « faire avec », ou « faire sans » selon notre dose de pessimisme…
Et puis, cela recommence ; inexorablement, l’évolution poursuit sa route.
Alors on tente de surnager. On s’accroche, on combat, on lutte. Non, ce n’est pas ça qui va m’empêcher de vivre, de faire comme si…
Et puis… vient un moment où trop, c’est trop.

Ça a pris du temps ; il faut dire que ça a tout le temps nécessaire, ce n’est pas urgent, ça a toute la vie devant soi, ces choses-là. Mais le résultat est là, intransigeant, inflexible : on ne maitrise plus rien.
Et c’est toute votre vie qui est gouvernée par la maladie, le handicap, la douleur, bref, par autre chose que votre propre volonté. Tout, mais plus vous.

J’en suis là.

Ça fait près de 40 ans que mes genoux m’emmerdent. Ça a commencé par un bête accident de sport, à l’adolescence. Une chute ridicule, un accident de parcours idiot, bénin. J’avais 13 ans et je venais de me déchirer les ligaments croisés en marchant sur un ballon de basket. Emmerdant, douloureux, mais rien de grave, de définitif. Un accident con.
Sauf que je ne suis pas tombée sur la bonne personne, au bon moment (comme quoi, dans la vie, on ne tombe pas toujours sur la bonne personne, au bon moment… il faut croire que j’allais griller mon droit à cette chance-là quelques temps plus tard, mais pas pour ça)
Sauf qu’à l’époque, on opérait et on plâtrait très facilement, pour ce genre de souci.
Sauf que le chirurgien n’a pas imaginé que je puisse être encore en pleine croissance. À sa décharge, je faisais bien plus que mes 13 ans… et j’étais déjà très grande pour mon âge. Résultat des courses, je vais cumuler la malchance et viendra s’additionner à une malformation de naissance (découverte à la suite de cet accident), ce ratage total, cette erreur, osons le mot.
Qui va me coûter cher. Très cher.
Parce que l’opération ne tiendra pas, il faudra recommencer, et recommencer encore. Au rythme d’environ une opération tous les 2 ans, si j’en fais la moyenne.
Vous comptez bien : j’ai été opérée 21 fois des genoux. 22, si je compte celle de début février.

De l’arthrose depuis l’âge de 20 ans. Les tendons qui tiennent par une volonté dont je ne connais pas l’origine. Une douleur constante, lancinante, comme savent l’être les douleurs liées à l’arthrose.
Deux trois crises d’arthrite aigüe, histoire de compléter le tableau : à 40 ans, mes genoux accusaient une bonne trentaine d’années de plus que moi, à en croire leur état et la réflexion d’un chirurgien, appelé à la rescousse durant une opération, et qui s’était écrié en voyant mon genou : ben la pauvre mamie, elle a le genou bien amoché ! Et moi, derrière le champ opératoire, j’ai glissé d’une petite voix : euh, la mamie a quarante ans… il me pensait âgée d’environ 70-75 ans…
Ce n’est pas compliqué, quand on m’a posé la prothèse, sur le genou gauche, je suis restée des semaines à chercher quelque chose, partout et tout le temps. Impression d’avoir oublié un truc, mes clefs, mon téléphone, mes clopes. Et mes copains du centre de rééducation, qui avaient pris l’habitude de me voir arrêtée en tâtant mes poches, me disaient juste : cherche plus, c’est ta douleur que t’as perdu.

Aujourd’hui, si le genou gauche ne me fait plus souffrir sans arrêt, si je peux même dire que j’ai (presque) oublié son existence, le droit a pris le relais, insidieusement. Comme si maintenant que la douleur disparue ne masquait plus celle de ce genou qui a compensé les manques de l’autre durant des décennies, il disait stop. Basta, j’ai atteint mon quota de supportable.
Et moi qui ai connu quelques années relativement tranquille, la valse des emmerdes a recommencé de plus belle.
Sauf que là, j’en ai marre.
J’ai, pour la première fois de ma vie, connu la joie de pouvoir marcher sans souffrir, de marcher droit (je me souviens mon père en train de me regarder marcher devant lui, et pleurant… il ne m’avait jamais vue marcher si bien, si droit) alors j’ai l’impression que je n’arrive plus à endurer le retour de cette gêne lancinante et souveraine, qui me bouffe toute mon énergie.
Marre de me voir bloquée dans mes envies de vie normale, sans me demander à chaque fois que je me lève, si le genou va tenir, ou s’il va se bloquer, me privant du coup de toute mobilité, et m’enfermant dans la plus sure de toutes les prisons : mon propre corps.

Hier, en discutant avec une amie, je me faisais la réflexion que, depuis quasiment toute petite, ma vie a été régie par mes genoux. J’ai fait plein de choses, dans ma vie, je ne suis pas en train de me plaindre d’une quelconque incapacité à faire quoi que ce soit. Mais j’ai dû apprendre à cohabiter avec ces impondérables, et à calquer mes activités sur mes possibilités de déplacement. Tellement que si j’y songe, ça ne m’a pas vraiment gênée. Je m’étais habituée. Mais depuis le mois de septembre, je n’y arrive plus.

Oh je sais pourquoi.
Depuis septembre, je cumule un peu trop d’emmerdements, entre les connus et ceux qui vous tombent dessus sans prévenir, j’ai atteint la limite de ce que je peux endurer.
Voir mon père sombrer dans un état si loin de sa personnalité a été la goutte en trop, tout gérer en même temps, je n’ai pas su faire.

Oh j’ai essayé. Je suis une basque très têtue, j’ai de qui tenir… Alors, j’ai essayé de tout mener de front : mes blocages de genou intempestifs, les soucis que mes trop fréquentes absences génèrent à mon boulot, le manque de fric aussi, dû au retard de remboursement de notre système de santé ; et puis les hallucinations de mon père, ses coups de fil en pleine nuit, ses absences, ses chutes… bref, sa lente descente dans un monde cotonneux où il est difficile de le rejoindre. Et puis est venue s’ajouter la culpabilité inévitable de devoir décider à sa place de ce qui devenait bon pour lui (et sécurisant pour nous, soyons francs) et lui trouver une maison de retraite, le cantonner dans quelques mètres carrés qui remplacent son foyer, alors qu’il a du mal à comprendre où il est, et nous demande sans arrêt quand il va rentrer à la maison…

Je suis consciente de somatiser un brin… je sais bien pourquoi j’étais prête à me faire poser cette seconde prothèse. Parce que ça signifiait 6 mois d’arrêt. 6 mois où j’allais être coupée de mes responsabilités, 6 mois pendant lesquels je me serais occupée uniquement de moi. Me retrouver, enfin. Avoir le temps.
Je sais bien tout ça… mais le fait de le savoir ne change rien. Je n’ai toujours pas l’énergie de reprendre le fil de mon quotidien.
Je suis fatiguée.

À cela est venue s’ajouter une drôle de polémique, à cause de quelques mots, lancés du plus profond de mon refus de la vie que je mène, lors d’une salvatrice halte, une pause bonheur… mal perçue. Communication mal gérée par moi, certainement, mais je pense quand même avoir essuyé un peu trop les plâtres, et que cette polémique a débordé bien au-delà de son point de départ…
S’en sont suivis des échanges très choquants, blessants même, mettant en cause une relation amicale que j’entretiens avec une autre plume. Et me voir ainsi accusée de me servir de ses soi-disant faiblesses m’ont fait mal.
Que je ne fasse pas l’unanimité… je m’en fiche. Je sais qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, et ce n’est pas (et n’a jamais été) mon but. Mais qu’on salisse le lien qui m’unit à cette amie, et par le coup, qu’on puisse la croire si incapable de choisir elle-même ce qu’elle désire m’a profondément heurtée, blessée.
Quelque chose, alors, s’est rompu. Tout au fond de moi.

Bien entendu, les… personnes à l’origine de ces rumeurs n’y sont pour rien. Ce n’est pas leurs agissements qui m’ont touchée. Ça, franchement, ça m’en chatouille une sans réveiller l’autre, comme on dit…
Non, c’est parce que j’étais déjà en rupture d’équilibre, que ça m’a autant remuée. Étant plus faible que d’ordinaire, plus coincée par ces aléas qui décident de ma vie à ma place (oui, j’en suis presque au point de les personnaliser, tant leur impact sur mon énergie est grand), je n’ai pas pu canaliser le choc reçu.
Comme on dit, trop c’est trop.

Et là, j’apprends que la prothèse n’est pas encore au programme. Il y a encore quelques pistes à suivre, quelques possibilités de soins, avant d’en arriver à cette opération ultime. Et je suis partagée entre deux sentiments.
Contente de savoir que finalement mon genou n’est pas si abimé que ça, même s’il reste à comprendre pourquoi ces blocages et cette douleur…
Et déçue de devoir reporter encore une fois ce que je m’imagine être la fin des emmerdes… me dire que je vais peut-être encore devoir subir une ou deux arthroscopies avant la prothèse, ça fait autant d’hospitalisations en plus… j’aimerais bien ne pas arriver à la trentaine d’opérations, quoi… j’aurais aimé pouvoir me dire : c’est bientôt fini, la douleur, les blocages, tu vas pouvoir mener une vie plus normale, plus douce… enfin !
Déçue aussi de voir que ce n’est pas demain que je serai capable de décider de ma vie, sans compter sur les réactions intempestives de ce putain de genou…

Au bilan, il faut donc que je continue à supporter ce qui est actuellement mon quotidien.
Cela va me demander une énergie que je commence à peine à retrouver, depuis que mon père est « géré » par des pros.
Alors vous comprendrez que je n’en ai pas à perdre… pour rien. Et tout ce qui pourrait m’en demander inutilement va passer à la trappe, pour quelques temps.

Je dois me concentrer sur ce qui a toujours été ma nourriture, mon ressourcement intérieur : l’écriture.
Déjà, poser ces quelques mots m’aide. Je me recentre sur les causes de mon épuisement. Ce faisant, je sais que je le combats déjà…

En espérant que l’envie sera au rendez-vous…

Publicité
Publicité
Commentaires
P
C'est un blabla hyper important que tu nous écris là... Je suis très sensible à tes problèmes de genoux et douleurs diverses - car j'en vois les effets autour de moi, sur des personnes un peu moins jeunes que toi, mais quand même, les hanches pour les uns, le dos pour l'autre... Bref. <br /> <br /> J'espère que tous ces gestes médicaux t'apporteront un soulagement, et en effet, il reste la possibilité de la prothèse (et de tout ce qui va avec) <br /> <br /> Pour ton papa, hélas, il est difficile de dire quelque chose... Si ce n'est: courage !<br /> <br /> Et pour le reste, songe aussi aux gens qui t'aiment et te prennent comme tu es, sans tirer de plans sur la comète ni faire de procès d'intention, que ces gens soient virtuels ou semi-virtuels... <br /> <br /> Bisous !
S
il faut croire que le corps n'aime pas qu'on ai mal de trop..et il le dit. (En nous faisant mal c'est paradoxal..)<br /> <br /> Bises d'une bloquée des cervicales qui résiste :)
P
J'sais pas trop quoi dire mais je crois que de mettre tout ça en mot est déjà pour toi un acte positif et bienfaisant. En tout cas ça m'aide à réaliser la chance que j'ai de n'avoir aucun souci avec mon corps...<br /> <br /> Amicales pensées, Pati
P
tornade, je ne dis pas que je ne te prendrai pas au mot, si le besoin s'en fait sentir... je garde bien au chaud ta proposition :)<br /> <br /> cricri, grenouille, je comprends que mon chirurgien hésite... je préfère qu'il hésite avant, plutôt qu'il regrette.. après !<br /> mon genou est beaucoup moins abimé que le gauche, et donc la prothèse (qui ne faisait aucun doute à gauche) peut paraitre prématurée. <br /> l'arthrose, pour être plus claire, n'affecte qu'une partie de mon articulation : celle située entre la rotule et la tête de tibia. le reste est à peu près 'correct'. il faut par contre comprendre pourquoi il y a blocage intempestif, et tenter d'y remédier.<br /> <br /> mais bien entendu, il a parfaitement intégré le fait que la gêne occasionnée me pourrit l'existance, et donc, si l'injection de ce produit ne donne pas les résultats escomptés, il posera la prothèse, car il est évidemment conscient que c'est maintenant que je dois être libre de mes mouvements, pas quand je serai à la retraite ;)<br /> <br /> poser une prothèse est un acte définitif, et pour tout acte de ce genre, il est logique que le chirurgien, et le patient, soient sur la même longueur d'ondes. mon but est de ne plus souffrir, celui de mon chirurgien aussi, mais tout en ayant la certitude qu'il choisit pour cela le geste adéquat. j'ai toute confiance en lui, c'est bien pourquoi je le garde. son discours, même s'il ne "m'arrange' pas immédiatement, me rassure, car il me montre qu'il n'est pas prêt à n'importe quoi, mais prend toutes les options en compte.<br /> c'est aussi important pour moi :)<br /> <br /> là, je suis juste un peu déçue, mais je pense qu'il a raison de vouloir essayer ce gel... ça peut marcher, je dois garder cet espoir là :)<br /> <br /> merci pour votre présence amicale :)
G
Pour moi, Cricri a raison : ce n'est pas parce qu'ils portent des blouses blanches qu'ils ont le droit de décider à ta place ! La prothèse t'a délivrée de la douleur du genou gauche, et on ne change pas une équipe qui gagne, alors pourquoi n'y recourir que quand toutes les autres possibilités auront échoué et t'auront apporté autant de douleur et d'espoirs déçus ? Au bout d'un moment, faudrait peut-être voir à arrêter le massacre, très lucratif entre nous soit dit...<br /> <br /> Grenouille, pousse-leur une gueulante, tu sais faire ! ;o)
Publicité
Publicité