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Les Mots de Pati
24 juin 2010

Au théatre ce soir...

Voici un article que j'ai écrit la semaine dernière, pour le Blog journalistique de Kaléïdoplumes : le Kaléïdo'Blog
Je le poste exceptionnellement ici aussi, afin que mes lecteurs n'ayant pas de liens avec ce blog puissent profiter de mon bonheur d'il y a une dizaine de jours...

Un samedi soir sur la Terre... on s'apprête à passer une soirée-télé tranquille, un match de foot se profile à l'horizon télévisuel... soupir !
Et puis non ! Un coup de fil inattendu, et me voilà embarquée à l'improviste par ma belle-sœur : elle m'emmène au théâtre.

CaptureÇa fait des années que je n'ai pas mis les pieds dans un théâtre. J'y vais heureuse ; à la limite, je me fous un peu de ce que je vais aller voir : l'important, c'est de sortir ! La joie, c'est la surprise de ne pas savoir du tout à quoi m'attendre ; je ne sais pas de quoi parle la pièce, ni si elle va me plaire, j'en connais juste le nom :
Cendres de Cailloux,
de Daniel Danis.

Le spectacle est présenté par la troupe de l'École départementale de théâtre de l'Essonne, ils sont treize élèves (sur les seize du cours) à se partager les 4 rôles de la pièce.

Je me demande comment ils vont bien pouvoir faire, pour rendre le tout suffisamment facile à suivre, comment ils vont se partager le texte et puis...
je ne me demande plus rien : j'écoute.

C'est l'histoire de Clermont, homme brisé depuis le meurtre de sa femme. De Pascale, sa fille de onze ans au début du récit, que l'on va voir éclore peu à peu en femme fragile et forte à la fois. Clermont a rompu les amarres depuis le drame, a brûlé sa maison, comme on brûle une peau de chagrin, et veut tenter de reconstruire une vie pour lui et sa fille. Il soigne ses plaies en déblayant la cave de sa nouvelle demeure des cailloux qui l'encombrent, s'enlevant à chaque pierre un peu du poids qui pèse sur son âme...
C'est l'histoire de Shirley, amazone improbable, seule fille d'un clan d'adolescents de trente ans, paumés dans une profonde cambrousse, qui rêve d'amour et de vibrations de vie. Et enfin de Coco, homme-enfant brutal, à la fois victime et bourreau, interdit d’espérance, condamné à se rendre digne de l’inconcevable.

Sur scène, aucun décor. Seule la troupe meuble l'espace, habille l'histoire qui coule comme un ruisseau sauvage. L'absence de décor, de costumes particuliers renforce l'impact des mots : rien ne vient distraire l'attention du texte, et quel texte ! Une flamboyance simple, à la limite du langage de la rue, ponctué par quelques mots à la saveur québécoise (tiens, l'auteur serait-il canadien ?)
De retour à la maison, je ferai une recherche sur le Net, pour en savoir plus sur l'auteur, et j'apprendrai que cette pièce fut jouée dans le noir le plus complet, avec un succès retentissant ! (théâtre La Rubrique, centre culturel du Mont-Jacob à Jonquière, Quebec, en 1993)

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Les acteurs se refilent les rôles, sans tenir compte du sexe des personnages : tour à tour, une femme et un homme tiennent le rôle de Shirley ou de Clermont. On s'habitue très vite à cette gymnastique, elle ne gène en rien la narration...
Je dirais même qu'elle la sert, elle la rend universelle et intemporelle.

Eh oui, peu importe le lieu, ou le temps. Il n'y a ni espace lieu, ni espace temps, ici.
D'ailleurs, au début de la pièce, on sait que tout a déjà eu lieu. Le drame s'est déjà joué, et les quatre personnages racontent à tour de rôle ce qu'ils savent, ce dont ils se souviennent, comme ça leur vient. Ils sont à la fois les conteurs de leur histoire commune et les témoins les uns des autres.

Peu à peu, on distingue une... intention. Il est question de dire, de transmettre, de raconter. Aucun jugement, juste la narration brute d'évènements qui vont mener au drame.

Le temps de la représentation se révèle le seul moyen temporel à travers lequel se déroule la mémoire des protagonistes. Situés dans un temps d’après la catastrophe, les personnages prennent enfin la parole, transcendent l’impossibilité du dire pour aller vers l’autre, grâce au récit. Et du coup, le spectateur est partie prenante de la représentation, puisqu'il devient réceptacle de ces récits qui s'entrechoquent.

L’intrigue se construit, petit à petit, par un phénomène d’écho, de réverbération. L’entrecroisement de monologues successifs propose des points de vue multiples sur une même réalité, reçue ou vécue diversement par les quatre protagonistes.
Aucune chronologie, ni passé ni présent, tout se mêle : homme ou femme, adulte ou enfant, mort ou vivant... les personnages nous livrent leur mémoire, et ça fonctionne incroyablement bien. Comme si ce méli-mélo de mots, de sons, servait uniquement le fait de dire, de livrer à l'autre. Fascinant !

Peu à peu, je suis gagnée par une exaltation jouissive. J'étais venue me distraire, me sortir de mon train-train ennuyeux, et voilà que je me prends une claque de premier ordre ! Je suis comme une incorrigible gourmande, face à un étal alléchant de friandises, et qui a le droit de gouter à tout ! Je m'empiffre !

La fin de la pièce me tire des larmes. Pas que ce soit d'une tristesse inconvenante, non, loin de là ! Mais je vis un écho intense, entre cette histoire, ces mots que j'entends, et d'autres, entendus il y a longtemps... la dernière phrase de la pièce est à elle seule un trait d'union inattendu, entre cette représentation et mon propre passé : où Coco le fantôme apostrophe Pascale, la fille-femme qui possède encore un avenir :

"Heille ! Pascale ! Danse !
Danse, danse avec la vie !"

Si d'aventure cette pièce se joue dans votre région, allez, que dis-je, courez la voir ! Et lisez le livre, juste pour le plaisir des mots !

CaptureCendres de Cailloux, de Daniel Danis : aux Éditions Actes Sud-Papiers, Paris, 1992 et 2000.

Prix du meilleur texte original de la Soirée des Masques (Montréal), le premier Prix du Concours International de Manuscrits du Festival de Maubeuge et celui de Radio-France International.

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Commentaires
P
merci :)
S
il se dégage une sacrée énergie de ton texte, ca donne envie :)
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