25 ans
Il y a 25 ans et un jour, il faisait beau.
C'était un dimanche. Jour de marché et d'animation.
Il faisait beau et froid. Un de ces froids secs et lumineux, qui donne le sourire à l'aube de l'hiver.
Nous, en ce 11 décembre 1983, on avait déjà fêté Noël. Pour toi. Et puis mon anniversaire aussi. En avance de quelques jours. Parce que tu tenais tellement à être là ce jour-là. Pour souffler mes 24 bougies.
On les a soufflées un peu en avance et on a planqué la panique qui nous gagnait, à avancer ainsi le temps. Toi, tu t'en fichais, qu'on soit pas à l'heure des festivités. L'heure avait disparu de ton petit monde, depuis quelques semaines.
Toi, tu voyais la neige saupoudrer ta mémoire, et les toits de Montarras. Un rêve opiacé qui endormait ta peine et ravivait la nôtre.
C'était un dimanche, à quatre heures du matin. Ton souffle s'effilochait. Je te tenais la main.
Un dimanche à huit heures du matin. Je partais faire le marché pour nourrir tes proches, venus t'entourer et regarder la neige embrumer ta présence.
Un matin où ma voiture a refusé de démarrer. Pour la toute première fois, elle me refusait ses services, à cette heure où j'en avais tant besoin.
Je ne suis pas partie. J'ai réintégré ma place à tes côtés, et j'ai repris ta main.
Il y a 25 ans, c'était un dimanche et huit heures cinquante ont sonné. C'est l'instant que ton souffle a choisi pour batifoler... pour se perdre, revenir, et se reperdre, et revenir encore.
Je te tenais la main.
Je me suis penchée vers ton visage serein, et je t'ai murmuré Lâche prise maman, tu as bien travaillé. Je te laisse t'en aller. Je suis en paix. Tu peux partir, je t'aime.
Il y a 25 ans.
Un dimanche enluminé par un soleil glacé. Il était neuf heures pile quand tu nous as quitté. Sans remous, doucement, sur la pointe des pieds.
Un peu après, ma voiture a bien voulu démarrer.
J'ai été au marché. Il faisait beau. J'étais glacée.
25 ans. Et un jour.
Parce qu'hier, je n'ai pas pu écrire. J'ai à mon tour batifolé, fait semblant d'être gaie.
Cet anniversaire doux-amer met un terme à cette période de vague à l'âme, qui chaque année me submerge. Je sais que demain, j'irai mieux. Parce que je vais toujours mieux le lendemain. Comme si j'avais besoin de me remémorer. Ce que j'ai perdu, et ce que j'ai gagné.
Certains font des bilans à la trentaine, aux dizaines qui rythment leur route. Moi, je le fais chaque année.
Celui -ci a été lourd. Car j'ai bien cru te rejoindre quand mon souffle a manqué. J'ai eu toutes les peines du monde à me reconcentrer. A laisser à nouveau la vie prendre ses aises, prendre sa place, et me scander que ma route continuait. Du mal à trouver l'envie de l'écouter, cet air-là.
Et puis, tu vois, je suis là. J'ai repris les rênes. J'ai refait des projets. Et ma mélancolie vient les alimenter. Comme chaque année.
Elle vient panser mes blessures anciennes, et j'aime la caresse de ces souvenirs. Doux-amers, certes. Mais tellement aimants.
Bon anniversaire maman.
A l'année prochaine.