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Les Mots de Pati
29 juillet 2006

Les lunettes de Marie.

Pour une consigne d'obsolettres.
Faire un texte sur une paire de lunettes aux pouvoirs étranges...

~~oo~~

Marie est une femme opulente. Larges hanches, seins gonflés de vie, postérieur cambré et rebondi, elle est ce qu'on appelle gentiment une ronde et moins gentiment une grosse.

Elle a horreur des miroirs, des devantures de magasins, des façades vitrées de ces immeubles de bureaux du centre ville, des cabines d'essayage, des cabines d'ascenseur où elle a toujours peur de faire dérailler l'engin par son poids, bref de tout ce qui peut d'une façon ou d'une autre reflêter son image. Elle se trouve énorme, moche, repoussante de graisse tremblotante, elle n'est qu'une masse de chair flasque et huileuse, elle se hait.

Elle déteste le mot régime. Il symbolise l'échec. Total. Elle les a tous essayés, les uns après les autres. Régime soupe magique aux sept légumes, censé brûler ses graisses ; régime ananas, depuis elle ne supporte plus ce fruit, même en peinture ; régime dissocié, associé, hypocalorique, hyperprotéiné, moins de ci, plus de ça... elle en a déglingué ses entrailles, son moral et sa libido. Elle a tant perdu de poids qu'elle se demande comment elle peut encore avoir besoin d 'en perdre.

Marie se déteste, se lacère en secret, se fait vomir et ingurgite juste après des tonnes de calories, pour se punir de vivre encore. Et d'avoir faim, toujours...

Elle rêve devant ces photos glacées, de taille de guèpe, de jambes élancées, de strings lascifs, de déhanchements subtils et langoureux, de course folle sans rien qui tressaute indéfiniment contre son gré. Elle rêve. Un jour, elle sera mince. Ou elle sera morte.

La boutique est récemment ouverte, l'inauguration a eu lieu la veille, elle se souvient avoir reçu le carton d'invitation. Carton unique en son genre, elle n'est jamais invitée nulle part. Elle a cru à une erreur, elle l'a jeté.
Le vieux bonhomme fripé l'appelle, pourtant. Pas de doute, c'est elle qu'il regarde en souriant de toutes ses rides. Il l'invite à le suivre dans la pénombre chaude de sa Taverne à Secrets (non mais quel nom idiot, pour une boutique).

Quel ramassis d'horreurs ! Des lampes en plastique fluo, des peluches obscènes de vulgarité, des livres de cuisine ancienne, nouvelle, exotique... des nippes Seventies, pleines de plumes, de perles et de froufrous psychédéliques, et tout un présentoir de lunettes, toutes plus atroces les unes que les autres...
Pourtant, c'est une de ces paires de lunettes affreuses que le vieux grimoire ambulant lui tend en souriant... ah parce qu'en plus, elle doit les prendre ?
Marie ne veut pas parlementer, elle n'a plus la force de se frotter à ses congérères. Elle prend l'insolite objet et s'enfuit.

Dans la quiétude de son nid, elle les regarde, les tripote, les tourne et retourne dans sa main. Elle les essaierait bien, là, à l'abri des regards malsains, mais... pour se voir, il faut faire face au miroir...

Elle attrape la bouteille de Scotch, toujours présente sur sa table de chevet, béquille addictive à son mental en berne ; en lape une longue gorgée, pour se donner la force de se regarder... les yeux dans les lunettes, ah ah !
Marie est saoule.

Elle se lève, se déshabille, se plante devant le miroir, nue comme un nouveau-né. Chausse ses lunettes, mais garde ses yeux fermés. Elle titube, sourit à tout hasard. Elle prend une ample respiration et ose enfin l'impensable : affronter son image de ce maudit miroir.

A première vue, rien de spécial. Elle ne peut même pas dire que ces lunettes lui vont, elles semblent se fondre dans les traits flous de son visage... Petit à petit, les yeux entament une inévitable trajectoire, qui part de ses cheveux et se finit sur ses chevilles...

Oui ! Quelque chose... Mais... elle ne comprend plus, elle est saoule, c'est sûr. Où donc est passé son reflet ? A la place, une splendide femme la regarde, nue comme un ver elle aussi. Dans un flash halluciné, elle reconnaît les lunettes sur le nez de cette beauté !

Marie bouge les lèvres, l'Autre aussi ; elle lève un bras, l'autre l'imite !

     - C'est toi, Marie ?
     - Oui, c'est toi.
     - Mais ! Tu es si....
     - Mince ? Belle ? Oui. Tu ne le savais donc pas ?

Marie enlève les lunettes, et se prend pleine face ses 98 kilos ! Les remet, et revoilà la déesse aux seins fermes ! Les enlève ? Hop, la graisse qui s'effondre sur ses chevilles ! Les remet ? Pof ! Elle tomberait amoureuse d'elle, si elle était homme.

Belle
Immonde
Belle
Moche
Belle

Belle

Belle...

Mon dieu, je suis belle.

Marie s'est allongée. Elle pleure. De bonheur. Et s'endort, les lunettes vissées sur son nez.

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Commentaires
S
Hum hum...<br /> La Vue c'est l'Envie...<br /> <br /> Bellement tourné ce récit Pati... Et pour celles et ceux qui n'ont pas trouvé les lunettes magiques, faites comme moi... Admirez vous des heures dans des affiches géantes... Avec quand même l'oeil critique...:o)<br /> Serge, psy à deux balles et à pas cher... :o)))
P
merci christine :)<br /> <br /> ça fait toujours plaisir de voir que ce qu'on écrit touche d'autres âmes :)
C
Je ne pèse pas 98 Kg mais j'aimerais bien avoir une telle paire de ... lunettes... <br /> superbement bien écrit, je me suis laissée portée...comme une plume ;-))
A
nan : à chaque battement banane !
N
Abstruse > et 10/10 à chaque oeil.
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