au bord du gouffre...
Cela a fait 24 ans il y a onze jours que tu nous as quittés. Dire que tu m'as manqué toutes ces années est tellement loin de ce que je ressens. Pourtant, c'est le juste terme, un manque profond, toujours présent au creux de mon ventre. Oh ce n'est pas douloureux, c'est juste
présent, toujours...
Depuis quelques temps (plusieurs années sois franche) je redoute ce qui va suivre, dans quelques jours... car dans 4 jours, je serai définitivement plus vieille que tu ne l'as jamais été.
Je ne sais pas vraiment comment poser des mots sur ce ressenti qui habite mes pensées. Evidemment, quand tu es morte, j'ai compris que raisonnablement, un jour, cela arriverait. Et pourtant, dans le même temps, cela m'a toujours paru inconcevable.
Une fille ne PEUT pas être plus vieille que sa mère, c'est pas logique. C'est hors norme, hors de toute conception mentale.
Cela a pris chez moi des allures de refus complet, en fait. A tel point que j'ai toujours pensé que je ne passerai jamais le cap des 47 ans. D'où certainement cette obsession de ne pas gâcher la moindre miette de mon énergie, vivre chaque instant dans toute sa plénitude, les pires comme les meilleurs...
Dans quatre jours, je n'aurai plus aucun repère.
Jusqu'ici, j'ai pu me référer à toi, à ton image dans ma mémoire, à ce que j'ai vu de toi. Même ta mort est un repère, en fait. Je pouvais me comparer à toi au même âge, j'avais un point de comparaison. il valait ce qu'il valait mais il existait. Dans quatre jours, je n'en aurai plus aucun.
Et j'ai la sensation d'un vide immense, d'un gouffre extrêmement difficile à franchir. Tellement difficile que pendant longtemps, je n'ai même pas eu l'envie de le franchir, pour tout dire.
Tu ne l'as jamais su, même si tu l'as certainement senti, mais j'ai failli mourir, à 16 ans. Depuis, j'ai toujours eu la certitude d'être en sursis. De vivre une vie que j'ai toujours eu beaucoup de mal à assimiler comme étant la mienne. D'où certainement cette impression d'être en suspens, de me regarder vivre, ce que parfois j'appelle mes "pouf, envolée", cela vient de là, je crois.
Ce manque de repère occupe toutes mes pensées depuis le début 2007. Depuis mes 47 ans. Et je me sens ... en attente. Je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à ce vide, qu'à cette barrière qui m'attend. Cela mange toute mon énergie, tout ce que je pourrais avoir envie de faire est "gelé", est mis en pause. J'attends. Et j'angoisse.
Je n'arrive même plus à écrire tant cette attente m'emplit. Mes mots se sont asséchés, ils sont vides de sens. Alors j'ai pensé m'occuper les mains puisque le cerveau ne fonctionne plus. Mais pour cela aussi, il faut de l'énergie, et j'en manque singulièrement.
Et puis, tu le sais, ta mort vient achever une période de deuil fournie, pour moi. Novembre est un mois que je n'aime plus vivre, depuis longtemps. une nostalgie triste m'emplit le cœur, à cette période. Mais jusque-là, je t'avais en point de mire, je n'avais qu'à puiser dans ma mémoire pour te revoir, pour t'entendre me rebooster le moral... et ça m'aidait à rebondir.
Je vais me sentir tellement seule, maintenant.
Pour en avoir parlé avec un de mes amis qui a connu ce sentiment étrange, j'ai compris qu'en fait, je dois refaire mon deuil de toi. T'enterrer une seconde fois. Et m'avancer seule au bord de ce précipice que sera la vie sans toi.
Je sais que je franchirai ce fleuve inconnu. Mais je ne sais pas dans quel état. Pour le moment, j'engrange de l'envie. J'avoue en manquer un peu mais je me force. Ma raison me force. Et grâce à toi, je suis têtue alors j'ai quelque espoir de réussir...
Tu as été tellement forte, maman. J'espère que je le serai autant que toi.
Je t'aime.