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Les Mots de Pati
9 mai 2010

Vivre ou survivre ?

Quand je raconte mon parcours tumultueux, les réactions de mes interlocuteurs sont multiples, mais quelques unes sont immuables. On souligne le courage (et pourtant, je n'ai personnellement jamais vu où il était question de courage, dans mon histoire...), la chance (de m'en être aussi bien sortie, je suppose... entendez par là que finalement, je mène une vie somme toute 'comme les autres' alors que vu ce que j'ai traversé, c'était pas gagné d'avance) mais on souligne très souvent qu'au moins moi, je sais la chance que j'ai d'être en vie. Je sais le prix de la vie. Et je peux donc en gouter au mieux le sel. Je profite, quoi.

Et pourtant... pourtant, quand ces gens me parlent de vie, ils ne savent pas que je ne vis pas depuis longtemps. Ils ne se rendent pas compte que pour moi, la vie n'a de valeur que depuis peu. Parce que j'ai très longtemps survécu.
Vivre... survivre... elle tient à quoi, cette petite différence de trois lettres ?

Au fond, peu de gens comprennent réellement de quoi on parle, quand on dit : « Je ne vis pas, je survis ». On lit les mots, on en comprend le sens général, mais ça donne quoi, au quotidien ?
Peut-être qu'en fait, tout tient à ça : à cette notion de plaisir, de goûter la vie dans ce qu'elle a de jouissif, de bon, de profondément bénéfique. À cette notion d'espoir aussi. D'espoir dans des lendemains sereins. Quand on survit, on est incapable de se rendre compte de ça. Et dans certains cas, on estime même ne pas avoir le droit de savourer la vie.
Je ne suis pas encore sûre de savoir quand je vis, quand je suis en train de vivre. De le savoir de façon consciente, dans l'instant. Ce que je sais par contre, c'est ce que je ressens quand je ne vis pas mais que je survis.

Je me souviens très bien de ce que ça fait, quand on espère de tout cœur que vivre, c'est pas du tout ce qu'on est en train d'expérimenter. Enfin, quand on est capable de prendre assez de recul pour penser à ce qu'on est en train d'encaisser...
Que c'en est même à l'opposé total, tant qu'à faire ! Parce que quand on survit, la vie n'a aucun goût, aucune saveur, et je dirais même aucune valeur. J'entends par là qu'on est incapable d'apprécier la valeur de notre propre vie. Alors la Vie, en général... c'est un peu trop loin des préoccupations immédiates. On n'a pas l'énergie nécessaire pour apprécier le simple fait de voir le soleil se lever sur un nouveau jour. Parce qu'on a la tête, et tout le corps, en plein dans la mouise. On se débat avec soit des évènements, soit des ressentis qui nous submergent, et on mène un combat souvent inconscient pour juste... rester en vie ?

J'ai longtemps culpabilisé d'être en vie. Je ne comprenais pas pourquoi. Je veux dire pourquoi moi. Pourquoi avais-je survécu alors que tant d'autres avaient disparu ? Qu'avais-je donc de particulier, pour que mon sort soit différent du leur ?
Et surtout, j'ai passé des années (et d'ailleurs, si je devais être franche, je ne devrais pas mettre cette phrase au passé...) à me demander si ce que je faisais de ma vie justifiait de ma survivance.

J'ai lu sur le net un article sur le syndrome du survivant. Parlant d'un de ses patient, un psy disait : « il éprouvait le sentiment de vivre sur du temps emprunté dont il n'avait pas le droit de profiter »
Un temps emprunté... cette formule a fait tilt. Car c'est tout à fait ce que j'ai ressenti. Et il m'arrive encore, quand je traverse des périodes difficiles, de le penser.

Dans mon récit de vie, je raconte qu'à un moment de mon histoire, j'ai fait un parallèle entre ce que je vivais et ce que mon papé, rescapé des camps, avait vécu. Toutes proportions gardées, évidemment. Je parlais là de ce sentiment diffus mais très marqué de ne pas comprendre pourquoi on n'est pas mort en même temps que les autres. Que si on a survécu, c'est forcément pour quelque chose de spécial, sinon, pourquoi ? Parce qu'il faut forcément quelque chose de spécial, pour justifier cette énorme injustice, cette incompréhensible... comment appeler ça d'ailleurs ? Singularité ? Même encore aujourd'hui, je ne sais pas comment appeler ça.
C'est resté pour moi un insondable mystère, qui a provoqué un décalage faramineux entre moi et les autres. Mes préoccupations ont très rapidement été aux antipodes des préoccupations des gens de mon âge, voire de tout le monde, d'ailleurs...

Et ce sentiment que je n'aurais peut-être pas dû survivre s'est trouvé amplifié, quand ma mère est tombée malade. Je me disais : « Regarde comme tu as gâché ta vie jusqu'ici ! Tu as failli tout foutre en l'air, par tes conneries, tous tes copains sont morts et toi, tu vis. Alors qu'elle, qui est une personne tellement meilleure que toi, va mourir. Où est la logique ? Pourquoi moi et pas elle ? »
Je sais qu'il n'y a pas de réponse à ce genre de question. Mais le fait de le savoir ne rend pas la chose plus simple à gérer, croyez-moi !

Et si finalement, tout mon travail d'analyse n'avait tendu qu'à rendre cet état de fait supportable ? Ok, je ne sais pas pourquoi et alors ? Alors vivons. Stopper là le questionnement stérile, et profiter du temps non plus emprunté mais offert. Accepter que le sursis ne trouvera peut-être pas d'explication acceptable, mais que cela n'implique pas forcément d'avoir à s'en sentir coupable.
Ce n'est qu'à cet instant précis qu'on peut véritablement commencer à arrêter de survivre.

Aujourd'hui, je peux savourer les petits bonheurs simples, comme par exemple la douceur d'un soir d'été, la beauté de la neige sur mon catalpa ou bien un fou rire de mon fils.
Ok, il faut continuer à être franche ? Alors disons que oui, je les savoure, mais toujours en me disant : prends, fille, car tu ne sais pas de quoi demain sera fait. Je ne peux pas m'empêcher de penser comme ça. C'est une sorte... d'instinct.
J'ai une conscience aigüe de ma propre mort. Je SAIS que si je vis, c'est parce que je dois mourir. Et c'est cette fin programmée, inévitable, qui donne du prix à ma vie. Rien d'autre.
Sauf ce que j'en ferai. Ce que j'en fais, chaque jour.

Même mon choix de faire du bénévolat dans un centre de fin de vie n'est pas anodin. Si je continue à parler vrai (car après tout où serait l'intérêt de se mentir à soi-même, hein...), je dois bien reconnaître que cela a surement à voir avec ce sentiment d'emprunt, d'usurpation, de vivre à la place de...
alors peut-être que le fait d'accompagner ces gens, en fin de vie, dans leur combat personnel pour accepter l'inacceptable, cela me donne une raison d'être là. Comme un tribut à verser dans l'aune de la vie.

Peut-être aussi pour continuer à apprendre d'eux comment accepter de vivre ma vie...

réflexion à suivre...

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Commentaires
P
J'ai lu plusieurs fois (et maintenant avec les réponses) ton entrée; difficile de commenter valablement. Tout ce que je puis dire, c'est que j'aimerais te lire vivante (mais je sais que l'es) et surtout, heureuse. Oui, car tu es quelqu'un que j'apprécie et j'aimerais te savoir heureuse. L'est-on toujours totalement? Peut-être y a-t-il toujours des zones sur lesquelles on n'a pas de prise. Mais peut-être est-ce cela qui permet de se recentrer sur tout le reste de sa vie et le vivre pleinement... Enfin, ce n'est peut-être pas très clairement dit non plus...
G
J'ai pensé à toi, hier, chez Nature et Découvertes : on y vend du parfum d'ambiance qui s'appelle "sieste sous le figuier"...
P
« je ressentais tellement le devoir de vivre cette vie qui m'a été offerte, que j'en ai perdu la simple idée de la vivre à mon compte. un peu comme si je me devais de la vivre à leur place. »<br /> <br /> C'est très clair comme ça, Pati :o)<br /> Je comprends combien le terme de "devoir" peut résonner fort pour toi...
P
tu n'es jamais maladroit, Pierre :)))<br /> mais ton commentaire me pousse à clarifier mon propos : quand je parle de culpabilité, j'en parle au passé. j'essaie, dans cette note, de clarifier un peu ce sentiment qui m'a étreint quand j'étais plus jeune, et qui, je l'admets, repointe souvent le bout de son nez, quand je ne vais pas très bien.<br /> <br /> mais il y a une différence, entre ce passé (où là, c'est tout à fait vrai que ma vie s'est trouvée "empoisonnée", comme tu dis) et aujourd'hui : entre les deux, j'ai fait, comme tu le sais, un travail sur moi, et au bout duquel j'ai sinon compris, du moins admis, que j'avais un droit très légitime à vivre, et à faire en sorte de vivre heureuse.<br /> <br /> quand tu parles de devoir... si tu savais comme il est grand, ce sens-là du devoir, chez moi ! tellement grand qu'il m'a longtemps bouffée toute crue... je me devais de réussir ma vie. comment ? j'en savais fichtre rien, mais je le devais. à l'époque, j'aurais dit : je le leur dois. <br /> et il est tout entier là, le paradoxe. je ressentais tellement le devoir de vivre cette vie qui m'a été offerte, que j'en ai perdu la simple idée de la vivre à mon compte. un peu comme si je me devais de la vivre à leur place... j'essairai de clarifier ça dans la suite de ma réflexion, car c'est quelque chose de très clair dans ma tête, mais c'est plus compliqué à coucher sur le papier !<br /> <br /> aujourd'hui, je me contente de me le devoir à moi. et de partager cette vie avec eux, que je porte toujours en moi.<br /> <br /> ton commentaire a nourri différemment ma réflexion... j'ai encore des choses à écrire là-dessus, ce me semble :)
P
J'ai lu avec un grand intérêt, tant ton développement que les commentaires. C'est ta réponse qui me pousse à intervenir...<br /> <br /> Quand tu dis qu'« on peut, on à le droit de vivre », j'ai très envie de dire que lorsqu'on a la chance d'être en vie, donc qu'on dispose du choix de donner un sens à cette vie, ce n'est plus tellement un droit... mais un devoir. Non pas au sens d'obligation, mais comme une "revanche" pour ceux qui n'ont pas eu ce choix, ne l'ont plus, ou n'ont pas su en comprendre le sens.<br /> <br /> Cette "culpabilité du survivant", que je comprends fort bien dans son principe, n'a pas lieu d'être : tu n'as aucune responsabilité dans ce qui est advenu à ces autres. Ceci étant dit avec l'objectif de t'encourager à poursuivre dans la voie de la déculpabilisation. Cette culpabilité est teintée de mort, tant par ce qui l'a fait naître que par ce qu'elle engendre. Elle est contaminée par la mort. Empoisonnée. Cette culpabilité pourrait bien être contraire à la vie...<br /> <br /> J'espère ne pas avoir été maladroit dans mon propos et je te remercie pour ce texte qui mène loin dans la réflexion.
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